Révision de l’Accréditation de la méthode ABA par l’American Medical Association (AMA)

Par Jean-Claude Maleval

La section des étudiants en médecine de l’AMA (American Medical Association) a fait en mars 2023 une proposition de retrait de l’accréditation de la méthode ABA pour le traitement des autistes: la résolution 706 fortement argumentée. Elle est rapportée ci-dessous.

Chambre des délégués de l’Association Médicale Américaine
Résolution : 706
(A-23)
Proposée par : Section des Étudiants en Médecine
Objet : Révision de H-185.921, retrait du soutien de l’AMA à l’analyse comportementale appliquée (ABA)
Adressée à : Comité de référence G
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Considérant que, une étude de 2018 menée par les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) a estimé que la prévalence des troubles du spectre autistique (TSA) chez les sujets de 8 ans était de 1 sur 44 ; et
Considérant que, l’analyse comportementale appliquée (ABA) est actuellement la thérapie de l’autisme subventionnée par l’État la plus largement disponible et habituellement dispensée au Canada et aux États-Unis ; et
Considérant que, le traitement de l’autisme représente une industrie fragmentée composée d’un ensemble d’organisations à but lucratif ou à but non-lucratif, les 9 chaînes à but lucratif tirant un bénéfice total estimé à 547 millions de dollars et une valeur de marché de près de 2 milliards de dollars dans l’attente d’une croissance future présumée ; et
Considérant que, une société de logiciels ABA indique enregistrer plus de 3 millions de demandes par an pour un éventail de 1300 pratiques se référant d’abord à ABA pour intervenir auprès de sujets avec autisme ; et
Considérant que, Autism Speaks répertorie 3194 centres délivrant une thérapie ABA aux États-Unis en 2022 ; et
Considérant que, ABA a été conçue en 1961 par le Dr Ole Ivar Lovaas dans le but de conditionner des comportements neurotypiques chez des enfants qu’il considérait comme des « humains incomplets » ; et
Considérant que, le comportement souhaité est généralement défini par l’adulte ou le comportementaliste sans nécessité de l’inclusion ou du consentement de l’enfant et peut exiger autostimulation inoffensive et comportements d’adaptation ; et
Considérant que, ABA use de techniques de modification du comportement afin d’éliminer des comportements considérés comme indésirables ; et
Considérant que, les thérapies ABA sont historiquement associées à des abus tels que le fait de prendre en otage la communication des enfants par le biais de dispositifs entendus comme leviers, et la négation de droits fondamentaux tels que l’alimentation et la toilette ; et
Considérant que, l’actuelle ABA est toujours fondée sur le principe de rendre l’enfant « normal » ou « impossible à distinguer parmi ses pairs », ce qui conduit à dissocier l’enfant avec autisme des comportements désirables ; et
Considérant que, une étude datant de 2018 démontre que des adultes avec autisme ayant été soumis à ABA sont plus enclins au suicide ; et
Considérant que, ABA a été de façon répétée associée à un syndrome de stress post-traumatique (PTSD), 46% de participants à ABA sur 460 ayant été reconnus comme atteints de PTSD selon une enquête en ligne ; et
Considérant que, les adultes avec autisme ont témoigné de façon continue du traumatisme qu’a pu provoquer une thérapie ABA pratiquée pendant leur enfance ; et
Considérant que, une étude datant de 2012 indique que les soins à destination des adultes atteints de troubles du spectre autistique sont sous-développés : et
Considérant que, une étude de Cochrane datant de 2018 appelle à plus de recherche suite à la faiblesse des éléments en faveur d’ABA ; et
Considérant que, une étude communautaire informelle en ligne datant de 2022 a indiqué que 71% des adultes avec autisme répondaient « en désaccord » ou « profondément en désaccord » à l’assertion « Je soutiens globalement la thérapie ABA vis-à-vis des enfants avec autisme » ; et
Considérant que, un rapport du Ministère de la Défense datant de 2020 a démontré l’absence de corrélation entre l’amélioration des symptômes et la durée des soins ABA, a montré que les améliorations relevées dépendaient de facteurs autres que les soins ABA, et que les soins ABA n’étaient pas en adéquation avec l’échelle de critères TRICARE quant à des soins médicaux efficaces ; et
Considérant que, une étude datant de 2021 concernant les conflits d’intérêt (COIs) dans la recherche sur la prise en charge précoce de l’autisme a prouvé qu’ils étaient prévalents et sous-estimés puisque 70% des études comprenaient un conflit d’intérêt tandis que seuls moins de 6% le précisaient ; et
Considérant que, la recherche actuelle soutient des alternatives à ABA tels que le modèle Floor-Time, le projet PLAY, le modèle ESI et le modèle SCERTS ; et
Considérant que, la politique actuelle de l’AMA soutient l’utilisation d’ABA en appelant à sa couverture et en prônant des traitements fondés sur des preuves tout en évitant de reconnaître sa dangerosité et ses controverses dans l’ensemble de la communauté ; qu’il soit dès lors
DÉCIDÉ, que notre Association Médicale Américaine soutienne la recherche pour l’évaluation et le développement d’interventions et de programmes à destination de sujets autistes (nouvelle politique de la chambre des délégués) ; et qu’il soit aussi dès lors
DÉCIDÉ, que notre AMA travaille avec des actionnaires pertinents afin de soutenir un spectre global de soins premiers et spécialisés qui reconnaissent la diversité et la personnalité des sujets neuroatypiques, notamment les sujets avec autisme (directive relative aux actions) ; et qu’il soit aussi dès lors
DÉCIDÉ, que notre AMA modifie la politique H-185.921 « Standardisation de la couverture de la thérapie analyse comportementale appliquée (ABA) pour des sujets présentant un trouble du spectre autistique (TSA) » avec les ajouts et les suppressions qui suivent :
Standardisation de la couverture pour des sujets présentant un trouble du spectre autistique (TSA), H-185.921
Notre AMA soutient la couverture et le remboursement des soins fondés sur des preuves destinés aux Troubles du Spectre Autisme (modifie la politique de la chambre des délégués actuelle).
                                                                                                     (Traduction S. Dauguet)
Reçu: 4/3/23

Toutefois, le Congrès de l’AMA, en Juin 2023, s’est borné à un élargissement de sa position sur la prise en charge des personnes autistes: il ouvre à la possibilité de thérapies alternatives, mais n’exclut pas que l’ABA puisse continuer à être utilisée. L’AMA réitère son soutien à des services fondés sur des preuves. Or années après années, depuis 2014, le Ministère de la défense et le Sénat des Etats-Unis commandent régulièrement des études pour savoir si les fonds importants dévolus par l’État au traitement de l’autisme par la méthode ABA sont bien utilisés. Années après années, les constats sont les mêmes. En 2021 encore, il apparaît que les résultats sont « faibles », voire « très faibles »[1]. Les améliorations peuvent porter sur des traits de comportement, sur le Quotient Intellectuel, ou sur les compétences linguistiques, mais il est difficile de savoir si elles sont « cliniquement significatives ». Près de la moitié des enfants ne présentent aucune amélioration et pour certains même les troubles s’aggravent. L’augmentation du nombre d’heures d’ABA consacrées à un enfant n’apparaît pas corrélée à une amélioration des résultats. En outre 70 % des enfants abandonnent le traitement avant deux ans d’administration de celui-ci. 
                        Des recherches postérieures aux recommandations de la Haute Autorité de santé de 2012 convergent pour considérer que les études existantes en faveur de l’efficacité de la méthode ABA ne reposent que sur de faibles niveaux de preuve. Telle est en Angleterre la conclusion de l’Institut for Health and Care Excellence (NICE)[2], confirmée en 2017 par une expertise gouvernementale[3] ; tandis qu’en 2012 une étude quasi-exhaustive sur la littérature scientifique de langue anglaise effectuée par l’Agency for Healthcare Research and Quality aboutit au même constat[4].
                        Dans une brochure largement diffusée en 2022 intitulée « Position psychanalytique contre le dogmatisme appliqué à l’autisme »[5], signée par une trentaine de spécialistes de pays différents, nous insistions sur les nombreuses objections qui doivent être faites à cette méthode violente et peu efficace. Nous rappelions qu’aucune méthode de traitement de l’autisme n’est aujourd’hui validée scientifiquement, ni l’ABA, ni toute autre.  Nous soulignions qu’une expérience faite en France à partir de 2010 afin de prouver les bienfaits de l’ABA a donné des résultats désastreux – auquel il a été donné très peu d’écho. Cette expérience menée dans 28 institutions pilotes, bénéficiant de conditions extrêmement favorables, dotées de généreux moyens financiers, avait pour but de conforter le résultat toujours cité de 47 % d’enfants autistes scolarisés grâce à la méthode ABA. Après quatre ans de pratique intensive de l’ABA sur 578 enfants autistes, 19 sortirent vers « le milieu ordinaire », soit 3,3 %. Qu’importe elle n’a pas cessé pour cela d’être recommandée[6].
                        À cet égard, il faut prendre connaissance de l’ouvrage de Johanne Leduc, mère québecoise d’un enfant autiste, elle a tenté, pendant plusieurs années, d’appliquer avec rigueur à son fils les principes de la méthode ABA, à savoir, lui enseigna-t-on, « montrer à l’enfant que l’adulte est supérieur et que l’enfant doit lui obéir ». À partir de ses trois ans jusqu’à ses sept ans, Simon fut soumis de manière intensive à la thérapie ABA par des professionnelles venant à son domicile et par ses parents. Ce qui en résulta ne fut guère probant. « Avant qu’Anne-Marie, la thérapeute ABA, ne débarque avec ses gros sabots, relate Johanne Leduc, Simon était un enfant joyeux qui courait et riait. Certes, il était enfermé dans son monde, mais quatre années plus tard, ce même enfant est toujours enfermé dans son monde, et il passe la majorité de sa journée à pleurer en se massacrant. Il n’arrive même plus à manger assis à une table. Alors, qu’avons-nous gagné à lui fourrer de force de la nourriture entre les dents ? […] la thérapie barbare de Miss Perfection n’avait servi à rien. Non, erreur. Elle avait servi à traumatiser mon garçon face à la nourriture pour le reste de ses jours. Lui faire avaler de force son repas n’avait fait qu’amplifier sa colère et son angoisse envers l’humanité. De plus en plus violent, Simon était devenu méconnaissable ». Bien entendu, l’échec du traitement fut attribué par la thérapeute à « une incompétence parentale chronique ». Johanne se rendit compte que cette méthode n’avait jamais cherché à savoir ce que son fils aimait, de sorte que lui avait été interdit tout ce qui l’amusait et l’apaisait. Ce fut, constate-t-elle, « une erreur fatale »[7].
                        Qu’importe, il ne faut pas se fier aux études de cas uniques, la science de l’autisme ne connaît que les études randomisées en double aveugle. L’AMA persiste à leur faire confiance. Un article publié en 2022 dans Spectrum, intitulé « Pourquoi les thérapies de l’autisme ont un problème de preuve » rapporte qu’une méta-analyse de 2020 (Autism Intervention Meta-Analysis, ou Project AIM), ainsi qu’une série d’études au cours de la dernière décennie, constatent « le manque de preuve pour la plupart des formes de thérapie pour l’autisme ». Pourtant, continue l’auteur, les lignes directrices cliniques et les organismes de financement ont continué à souligner l’efficacité de pratiques telles que l’analyse appliquée du comportement (ABA), tandis qu’une intervention précoce reste une recommandation quasi universelle pour les enfants autistes au moment du diagnostic. Le domaine doit de toute urgence réévaluer ces affirmations et ces lignes directrices, affirme Kristen Bottema-Beutel, professeure agrégée d’éducation spécialisée au Boston College dans le Massachusetts, qui a travaillé sur le projet AIM. « Nous devons comprendre, dit-elle, que notre seuil de preuve pour déclarer quelque chose de fondé sur des preuves est extrêmement bas […] Il est très peu probable que ces pratiques produisent réellement les changements dont nous faisons part aux gens. » Il est difficile de comprendre comment cette pénurie de données de haute qualité sur l’intervention en matière d’autisme a persisté malgré des décennies de recherche consacrées à ce sujet. Une partie du problème réside peut-être dans le fait que les chercheurs sur l’autisme ne semblent pas s’entendre sur le seuil de preuve suffisant pour affirmer qu’une thérapie fonctionne. Un système de conflits d’intérêts bien ancrés, selon les experts, a également artificiellement maintenu cette barre à un niveau bas »[8].
                        Que faire dans ces conditions ? Le Ministère de la Défense et le Sénat américains concluent chaque année qu’il est urgent d’attendre et qu’il faut espérer que tout cela s’améliorera grâce à des études plus précises. La résolution 706 de l’AMA le souligne : les intérêts financiers sont considérables, de sorte que le lobbying des tenants de l’ABA est en conséquence. Combien de temps encore la violence faite au sujet autiste et à ses procédés spontanés de défense contre l’angoisse parviendra-t-elle à se prévaloir d’arguments scientifiques pourtant peu consistants?


[1]     The Department of Defense Comprehensive Autism Care Demonstration Annual report. 2021.
[2]  National Institute for Health and Excellence (NICE), UK. (2011). Autism spectrum disorder in under 19s: recognition, referral and diagnosis. Clinical guideline (CG128] https://www.nice.org.uk/guidance/cg128/chapter/Recommendations.
[3] Guldberg Karen. Parsons Sarah. (2017) Scientific review of the ‘Benchmarking Autism Services Efficacy’ (BASE) report (2015).  http://eprints.soton.ac.uk/id/eprint/417238
[4] Agency for Healthcare Research and Quality (AHRQ). (2014) Therapies for children with autism spectrum disorders: Behavioral Interventions Update. https://effectivehealthcare.ahrq.gov/topics/autism-update/clinician
[5]     https://www.psychologuesfreudiens.org/post/position-psychanalytique-contre-le-dogmatisme-appliqué-à-l-autisme
[6]     Maleval J-C. Grollier M. Expérimentation d’ABA : une sévère désillusion. psychiatriereprenonslaparole.wordpress.com
[7]    Leduc Johanne, La Souffrance des envahis, Troubles envahissants du développement et autisme, Beliveau Québec. Canada, 2012.
[8]  Zamzov R.  Why autism therapies have an evidence problem ? . spectrumnews.org 14 avril 2022.