Lettre ouverte à Monsieur Fasquelle
J’ai lu avec effroi votre proposition, Monsieur Fasquelle, puis je suis allée vous écouter, entendre votre voix, saisir de plus près votre énonciation. Pourquoi tant de haine ? Cette proposition n’est que l’un des maillons de la machinerie en place visant à réduire au silence les psychanalystes et ceux qui s’en orientent ; vous vous attaquez à notre désir, notre désir décidé, mais aussi à celui de tous ceux qui souhaitent que leurs enfants bénéficient d’un accompagnement de type psychanalytique. Et vous avez cru que l’on resterait sans voix ? Alors que répondre face à de telles attaques haineuses ?
La retraite, le repli, non ce n’est pas pour nous !
A l’école, jour après jour depuis plus de trente ans, je suis accompagnée dans ma pratique par l’orientation psychanalytique et je dois avouer que sans cette boussole, je ne sais comment j’aurai pu supporter ce qu’y s’y passe et en particulier depuis la loi de 2005 sur le handicap. Pourquoi ? Parce que l’école inclusive, ça demande du temps, de la délicatesse, une attention soutenue à l’autre. Cela demande de pouvoir entendre, supporter le rejet, la difficulté, la peur, l’angoisse, l’hostilité, l’agressivité. Cela demande d’accueillir tout ça avec bienveillance, c’est tout un art de faire de l’école inclusive une école accueillante, de faire le pari qu’une rencontre est possible, malgré ces premiers temps parfois qui réduisent les parents, l’enfant, l’enseignant ou l’auxiliaire de vie scolaire à l’impuissance. Sortir de l’impuissance est possible quand on commence à cerner justement ce qui est du côté de l’impossible, parce qu’il y a de l’impossible !
Il ne suffit pas de décider de façon péremptoire, injonctive que l’école doit être inclusive, encore faudrait il savoir de quoi l’on parle. Alors je vais prendre ce temps.
Un exemple tout neuf, je découvre ce matin « l’inclusion » d’un enfant autiste de huit ans dans une classe maternelle à trois niveaux avec des enfants de trois ans à cinq ans. J’y allais pour travailler à l’accueil de la singularité de quatre autres enfants.
L’IME concerné a considéré qu’il fallait suivre les injonctions d’inclusion et tout un petit monde a décidé, sans tambour ni trompette, que ce serait dans telle école et telle classe. Inutile de vous dire – enfin si c’est utile car manifestement vous ignorez ce qui se passe sur le terrain, vous ignorez ou voulez ignorer le travail énorme que nous faisons –, dans quel émoi, dans quel embarras se trouve l’enseignante.
Pas question pour nous de dire non à cette inclusion, mais nous allons juste réfléchir, travailler à plusieurs, parler avec l’enseignante spécialisée qui accueille déjà cette enfant. Bref, nous avons la tâche de nous intéresser à la singularité de cet enfant car sans ce travail précieux de fourmi, comment l’enseignante pourrait elle garder l’enthousiasme qui fait la joie de son métier ?
Une école inclusive ça se construit avec chacun. Accueillir toute la journée un enfant « autiste » (mais bien souvent n’ayant jamais été désigné comme tel encore par un médecin) qui ne parle pas, crie, hurle, quand on l’approche, refuse de rester dans la classe, eh bien ce n’est pas possible. Alors il faut un long travail pour repérer les circuits possibles permettant un apaisement, un lent travail pour que l’enseignant réalise souvent avec bonheur qu’elle avait déjà capté un petit quelque chose, un petit fil qu’elle pouvait attraper. Et beaucoup de temps encore pour parler avec les familles, qui souffrent, qui sont dans la difficulté pour faire garder leur enfant, que nous ne pouvons accueillir à temps plein parce l’enfant n’est pas en mesure d’y consentir.
Alors oui, venez en classe, venez au sein de l’école inclusive vous y découvrirez aussi des moments de pur bonheur, suscités par les trouvailles et inventions des uns et des autres. Vous découvrirez peut être A., petit garçon turc « autiste » qui ne peut rester dans la classe. Il déambule, avec son AVS dans les couloirs, s’arrête parfois dans une classe, s’y installe, prend un jeu, repart et jamais ne parle pas.
Mais il y a peu, l’AVS l’entend parler seul, en anglais. Cette langue n’est pas parlée à la maison, c’est la langue de la tablette, celle des jeux sur lesquels il est branché, appareillé, langue énoncée par une voix dont la dimension d’énonciation est exclue. C’est ici que la psychanalyse nous enseigne que soutenir cette solution peut permettre à ce jeune enfant de se tenir dans le monde. Chacun s’y met, quelques mots sont échangés maintenant avec son AVS, en anglais, la maîtresse use de cette langue pour tenter une adresse auprès de lui.
Alors, quand je vous entends dire, non, vociférer, que la psychanalyse est inefficace et est à éliminer, ça ne me fait pas rire, et c’est insupportable. Alors que vous le vouliez ou non, Monsieur Fasquelle, je continuerai à travailler ainsi !
Marie Izard Delahaye
Psychologue scolaire
Membre ACF Normandie