Laurent Mottron : un clinicien au pays des sciences cognitives ?

Par Charles Cullard.

À propos de L’intervention précoce pour enfants autistes, de Laurent Mottron

Le dernier ouvrage paru de Laurent Mottron, L’intervention précoce pour enfants autistes[1], est le fruit d’un travail remarquablement éthique et clinique, dont les résultats rejoignent très largement ceux des professionnels s’orientant de la psychanalyse lacanienne.

Son hypothèse, insistante à presque chaque page, est que l’autisme est « un variant humain » qui nécessite de penser « autrement » l’intelligence autistique et son mode de socialisation. Cette idée est à relier directement avec l’espace culturel depuis lequel Laurent Mottron l’a formulé. La tradition de la reconnaissance des minorités, de leurs spécificités, caractéristique de l’espace anglo-saxon comme l’a souligné la chercheuse Brigitte Chamak est inscrit dans l’ADN canadien. Plus que d’entendre la particularité autistique, de la transformer en un stigmate social « positif », on entend dans ce travail une tentative de rendre « la dignité » à ce symptôme contemporain.

Sous ce postulat, Laurent Mottron démontre avec force et avec une éthique des conséquences rigoureuse, combien la recherche sur l’autisme, son diagnostic autant que son mode de compréhension sont captif d’une idéologie scientiste, qui ne veut pas lâcher sur un normo-centrisme référé essentiellement au « neurotypique ».

À l’appui de la clinique, passé au crible des instruments de mesure, il va jusqu’à constater que l’ICIP [Intervention Comportementale Intensive Précoce – NDLR]  a franchi des limites éthiques qu’on ne tolérerait pas pour tout autre type de pathologie et qu’elle se fourvoie dans un modèle de faible scientificité, répondant souvent plus d’une logique financière et marketing. Il dresse un tableau cinglant des effets délétères de ce type d’intervention pour les enfants et les familles et critique vivement les politiques publiques de santé qui ont dans les pays occidentaux conduit nombre de gouvernements à les recommander. Sa critique de l’ICIP l’amène à séparer « les ingrédients actifs »[2] des méthodes globales et de celles focalisées, dans une perspective que nous partageons, à savoir qu’il n’existe pas UNE méthode pour accompagner l’autiste, mais que celle-ci doit toujours être adaptative – singulière donc – et être conduite principalement à partir des intérêts de l’enfant.

Le désir de ce chercheur s’éclaire de son statut d’exilé. Laurent Mottron a quitté la France, de ses propres mots, pour fuir une situation de monopole. Lors de ses études de médecine à Tours, il soutient en 1981 une thèse de médecine intitulée « Fonctionnement de l’opposition névrose/psychose ». Si bien que la psychanalyse – « pseudoscience »[3] essentiellement évoquée sous le modèle de la superstructure freudienne – est régulièrement citée comme le second monopole, pour lequel Mottron n’est pas plus élogieux. Ce que l’on peut comprendre d’autant mieux si l’on jette un œil sur le traitement que pouvaient offrir et offrent encore certains aux autistes et leurs familles, quand le modèle freudien fonctionne sans la fin de l’enseignement de Lacan et les percées fondamentales qu’à opéré la psychanalyse lacanienne grâce aux travaux des Lefort, poursuivis par Jean-Claude Maleval et Éric Laurent. On peut simplement s’étonner que la rigueur d’un chercheur de renommée internationale ne l’ait pas conduit à lire plus attentivement les derniers travaux produits par les membres de l’École de la Cause freudienne.

[1] Mottron L., L’intervention précoce pour enfants autistes. Nouveaux principes pour soutenir une autre intelligence, Ed. Mardaga, Bruxelles, 2016,.
[2] Ibid., p. 15.
[3] Ibid., p. 181.