Imposer un consensus ?

Par Amandine Mazurenko.

oursonDans le champ de l’autisme, dès lors qu’est brandi l’étendard du consensus univoque et unilatéral, le risque de dérive autoritaire n’est jamais loin. Mais que dit précisément la Haute autorité de santé (HAS) en matière de recommandations de bonnes pratiques, lorsqu’elle cherche à faire consensus : « Les recommandations de bonne pratique (RBP) sont définies dans le champ de la santé comme des propositions développées méthodiquement pour aider le praticien et le patient à rechercher les soins les plus appropriés dans des circonstances cliniques données. Les RBP sont des synthèses rigoureuses de l’état de l’art et des données de la science à un temps donné, décrites dans l’argumentaire scientifique. Elles ne sauraient dispenser le professionnel de santé de faire preuve de discernement dans sa prise en charge du patient qui doit être celle qu’il estime la plus appropriée, en fonction de ses propres constatations. »[1]

Soulignons ici l’étymologie du terme de « recommandation » : « action de recommander quelqu’un ou quelque chose, de le signaler à l’attention, à la bienveillance. Action de recommander quelque chose à quelqu’un ; conseil, avis. »[2] Il y a donc matière à être en colère, surtout depuis la proposition de résolution Fasquelle, contre ces détracteurs qui détournent le sens des mots !

Discernement

Comme l’indique la HAS, nous ne pouvons faire l’économie de notre propre discernement dans la prise en charge du patient, en accordant une importance à la prise en compte de l’enfant autiste et de sa famille dans leurs particularités. C’est aussi le sens du discours du 19 mai 2016 du président Hollande. Le 4e Plan autisme se veut rassembleur et pluriel. Alors pourquoi tant de haine et d’ignorance ? Un parti pris néolibéral et biomédical ? Comment rassembler lorsque quelques-uns veulent imposer leur scientisme et leur croyance sur le terrain ?

Par ailleurs, si la recherche du consensus ne peut se faire qu’en reconnaissant la multiplicité des approches et des recherches scientifiques qui les sous-tendent, les difficultés surgissent dès qu’il s’agit d’approfondir la question au niveau de l’étiologie ou des causes. L’IRM, les recherches génétiques pourront-elles vraiment résoudre la cause des symptômes autistiques ? On peut soutenir la poursuite les recherches médicales sans pour autant affirmer guérir avec un traitement médicamenteux ou comportemental. Le danger, c’est de confondre cause et remède. Qu’il y ait des symptômes organiques individuels repérés grâce aux dernières recherches médicales, faisant appel aux nouvelles ressources neuropédiatriques et neurobiologiques, ne signifie pas pour autant que le remède se situe dans le traitement biologique et adaptatif, à savoir en correction du comportement. En tout cas, cela ne peut constituer le seul modèle possible. Aux États-Unis, la méthode ABA est remise en question et on privilégie désormais les approches plurielles pour faire avancer les recherches. Ils reconnaissent même s’être trompés en pensant que la science pouvait être aussi univoque.

Environnement       

Les chercheurs en médecine savent qu’il s’agit là d’une vision réductrice et orientée. Le consensus suppose la coexistence de deux grandes approches scientifiques, l’adaptative et l’expressive, dont les fondements sont radicalement différents puisqu’elles n’ont pas le même objet. Le sociologue Gérard Neyrand reprend cette distinction dans son article paru dans la revue de l’anecamps[3]. Il rappelle ainsi que ces deux approches découlent de deux modèles scientifiques fondamentalement incompatibles. La première, l’adaptative, soutient fermement que le remède se situe au même plan que la cause. C’est la croyance selon laquelle il serait possible de faire disparaître le symptôme en médicalisant et en reconditionnant le comportement inadapté. La seconde, l’expressive, soutient que le symptôme est l’expression complexe de plusieurs facteurs : somatique, psychique, environnemental, social et relationnel. Elle ne cherche pas à expliquer la cause mais s’occupe davantage des effets de parole et de symbolisation. Dans cette approche, l’individu n’est pas réduit à un organisme individuel non-influencé par l’environnement.

Ne pas confondre    

Rappelons que les dernières recherches en épigénétique mettent en garde le fondement idéologique du raisonnement causal et exclusivement biologique comme en témoignent par exemple les travaux d’Annick Harrel-Bellan, directeur de recherche émérite au CNRS. Les dernières recherches génétiques mettent l’accent sur la prédisposition à avoir une maladie plutôt que d’évoquer la cause génétique. La génétique fondamentale met aussi en avant le fait que les séquençages de gènes ne signifient rien en soi et qu’ils doivent être lus à l’aune d’autres facteurs environnementaux et épigénétiques. En d’autres termes, dans cette seconde approche, il ne s’agit pas de confondre cause génétique et expression.

S’engouffrer dans le champ causal semble donc être une impasse pour l’avancée des recherches autour de l’autisme.

Le travail clinique réclame rigueur et attention. C’est d’ailleurs pour cette raison que les deux approches, biomédicale et psychodynamique, ne doivent pas se confondre, au risque d’ériger l’idéologie scientiste au rang du discours scientifique. Alors, faire consensus, oui, mais pas au prix de l’éradication du symptôme.

Amandine Mazurenko est psychologue clinicienne en CAMPS

[1] Cette recommandation de bonne pratique a été élaborée selon la méthode résumée dans l’argumentaire scientifique et décrite dans le guide méthodologique de la HAS disponible sur son site : www.has-sante.fr

[2] Selon le Centre national des ressources textuelles et lexicales : cnrtl.fr

[3] Neyrand G., « La prévention psychique précoce, une démarche controversée », La revue de l’ANECAMPS, n° 26, De la prévention du risque au risque de la prédiction 2007.