Babouillec. Éloge de la différence et mystères du corps parlant

Par José Villalba.

Dans l’après-coup de la projection de Dernières nouvelles du cosmos, le 6 février 2017 à Beaulieu-sur-Mer (Alpes Maritimes).

« Poésie et psychanalyse s’acharnent à réveiller les ondes du réel. » J. Lacan

Dernières nouvelles du cosmos [1] est un documentaire précieux dans le débat qui fait rage aujourd’hui autour de l’autisme. Nous suivons pas à pas Hélène, cette jeune femme surnommée Babouillec, accompagnée d’une mère aussi patiente qu’aimante qui a su « trouver la porte qui mène à l’écriture (mais pas à la parole) » pour son enfant autiste. Et nous restons émerveillés de voir que la forteresse, non seulement n’est pas vide, mais qu’elle foisonne de poésie et d’idées incroyables. C’est un monde singulier qui a inspiré Pierre Meunier, un metteur en scène de grand talent qui s’est laissé enseigner, pour produire un spectacle étonnant d’invention et de vie. Une linguiste et un mathématicien croisent aussi le chemin de cette jeune femme. Ils se trouvent, à leur tour, envoutés par tant de magie et de mystère. Comment a-t-elle pu apprendre à lire et à écrire ? La mère ne peut l’expliquer. Mais Babouillec répond, en véritable artiste (poète et philosophe), à cette énigme et à quelques autres…

La stimulation ou l’apprentissage, maîtres-mots des comportementalistes, changent de camp. C’est le spectateur qui est véritablement secoué et tente d’apprendre, de comprendre comment diable est vécu et pensé le monde depuis ce point de vue surprenant que nous offre un sujet extraordinairement singulier.

Le patrimoine génétique importe peu et nous nous voyons, nous, supposés « normaux », totalement aveugles. Démunis, handicapés, misérables face aux merveilles du monde qu’elle est capable de percevoir et de mettre en mots. Le corps et le langage semblent inextricablement noués, mais d’une manière si particulière !

Les médicaments que certains présentent comme des sésames, n’ont pas leur place ici.

C’est l’attention continue et l’amour de cette mère qui ont permis l’écoute véritable de cette enfant. L’extrême patience et l’opiniâtreté maternelles ont rendu possible, doucement, la structuration du corps (la mère raconte comment l’enfant a, petit à petit, « découvert » qu’elle avait des mains), puis l’appropriation du langage, par le biais de l’écriture. Il s’agissait parfois de la stimuler mais aussi, souvent, de la calmer, de la canaliser. Il fallait aussi inventer quelques outils, quelques codes communs puis se laisser surprendre par la créativité de cette artiste vraiment unique.

La publication de son travail, autant que l’écoute du metteur en scène et de la réalisatrice, l’ont sans aucun doute aidée à se construire un corps. Les lettres sont venues dessiner un bord, comme l’illustre formidablement bien la cinéaste lorsqu’elle la filme dans le noir, à Avignon – des lettres projetées sur le mur. Ainsi, son corps semble mieux tenir à la fin de cette magnifique aventure cinématographique et humaine.

Que nous enseigne cette jeune femme, sinon qu’il nous faut être humbles et toujours curieux du mystère irréductible que reste l’être parlant.

[1] Dernières nouvelles du cosmos, de Julie Bertuccelli. Les films du poisson, 2016

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