20 ans de projets artistiques en institution

Témoignage, par Frédéric Bourlez.

À Daniel Pasqualin.

Ce texte s’est élaboré au fil des années et des projets. Il est aussi tiré de conférences multimédia prononcées pour des publics divers à l’AWIPH, à la Jan Van Eyck Academy de Maastricht, à l’Université de Toulouse Le Mirail pour la plateforme de recherche Europhilosophie, à l’Université de Liège dans le cours de philosophie de l’éducation, à l’ARCS, à l’École Normale Supérieure de Paris pour le programme Master Erasmus Mundus, aux Universités catholiques de Lille et de Louvain, au GLEM de l’hôpital Saint Pierre et récemment à La Manufacture Urbaine de Charleroi dans le cadre de l’exposition de photographie de Michel Loriaux « Seul avec les autres ».

Introduction

Évidemment, il aura fallu convaincre. Évidemment, chaque projet aura été minutieusement préparé et se sera élaboré pas à pas, riche de surprises et de bricolages. Au fil des ans et des productions artistiques en institution, pour témoigner de la qualité des créations de singuliers et inlassables travailleurs du réel à la créativité trépidante, de nouveaux outils s’offrirent peu à peu aux élaborations cliniques locales.

J’ai été engagé à l’Institut La Porte Ouverte de Blicquy le quatorze Octobre mille neuf cent nonante-huit, pour travailler dans le groupe de vie « les Glycines », d’abord en qualité d’éducateur, bien que diplômé en psychologie clinique, comme tant d’autres. Soixante-dix adolescents sont hébergés à La Porte ouverte, douze aux Glycines. Ce groupe est aujourd’hui dédié à l’accueil des « dits-autistes ».

La première année fut pour moi une totale découverte d’un univers absolument inconnu jusqu’alors : la clinique en institution para-psychiatrique. Rapidement, je fus conquis par ce travail et par le partenariat avec les jeunes adolescents dits « autistes et psychotiques » de l’institution dite « établissement de rééducation psychosociale ».

Je fus aussi vite convaincu de deux choses : une formation complémentaire en clinique, d’orientation psychanalytique, via la section clinique de Bruxelles, m’était nécessaire pour y intervenir avec pertinence, et des projets «artistiques » étaient à mettre en place en collaboration avec des intervenants extérieurs, professionnels en leur domaine : photographie, cinéma, musique. Le bénévolat de chacun permit alors beaucoup de choses.

« …Il n’y a pas plus d’art des fous que d’art des dyspeptiques ou des malades du genou » écrivait Jean Dubuffet in L’art brut préféré aux arts culturels, en 1949.

1) Les débuts : Une photographe à l’Institut La Porte Ouverte

Une amie photographe, Marie Ringlet, qui avait déjà effectué un reportage dans les asiles psychiatriques roumains de l’après Ceaucescu, se révéla une partenaire de travail idéale dans un contexte néanmoins fort particulier. Le travail débuta lors d’une semaine de camp de vacances à l’institut, en juillet 1999.

Prenant de multiples précautions pour introduire ce curieux objet relié au regard qu’est l’appareil-photo, auprès de jeunes gens pour lesquels celui-ci pouvait se révéler extrêmement problématique, elle trouva rapidement de sympathiques possibilités d’utilisation de la photo comme opérateur de pacification et elle s’intégra totalement au jour le jour à la vie de la maison. Portraits de chacun, clichés d’atelier, scènes de toilette, photos d’écrits, autant d’occasions d’un usage thérapeutique de la photographe et de ses clichés.

Les photos ont rapidement été développées puis offertes à ceux qui le désiraient et à leurs familles enchantées. Ensuite, une petite exposition à l’hôtel de ville de Leuze initiera en 2000 un cycle de « médiatisation » des ateliers « artistiques » de l’institution.

Nous avons mis en vente les clichés pour une somme modique et avons ainsi récolté notre premier « budget extraordinaire » qui permit d’acheter de nombreux objets pour ces jeunes, pas tous très fortunés. Ce fut aussi la première occasion pour moi de me confronter à la presse, et aux difficultés de tenir un discours cohérent autour du projet institutionnel et des particularités de notre clinique.

2) Premier projet cinéma : VIGADE ?

Véritable étincelle créative, ce projet a permis, d’une part l’introduction ultérieure du Polaroïd en atelier, et d’autre part, l’année suivante, la constitution d’un projet cinéma : le film Vigade ? (DVD 52’, François Pirotte, disponible à la location à la médiathèque, fragments sur You Tube & Daily Motion). Grande aventure, apprivoisement du regard par la technique cinématographique, toujours en camp de vacances, mais pour la première fois en extérieur, à l’abbaye de Clervaux, au Grand-Dûché de Luxembourg.

Ce film est né suite à la demande d’un jeune paranoïaque, Al. Il avait quinze ans lorsqu’il arriva aux Glycines et surprenait chacun par sa connaissance de la mythologie grecque (un travail antérieur sur son prénom l’y avait amené), mais aussi par ses conflits dans le lien avec ses pairs. En effet, rapidement agacé par les moindres choses, il réglait ses différents avec ses poings, fidèle descendant de la virilité antique. Là aussi, de nombreuses stratégies se montraient inopérantes à pacifier son agressivité.

Un jour, alors qu’il était sur le point de régler une fois encore ses comptes par la force, un collègue lui fit offre d’écrire son mécontentement plutôt que de passer à l’acte. Étonnamment, Al s’assit immédiatement à une table et commença à maugréer en écrivant, sans plus penser à agresser son persécuteur du moment. Nous prendrons soin de lire avec lui sa prose, de reparler tant des difficultés que des potentialités à partir de ses écrits. Peu à peu, Al se mit à écrire des histoires. Des combats mythologiques fabuleux, où il triomphait de toutes les difficultés, lui pour qui le quotidien était si problématique. Friand de s’identifier à un statut d’intellectuel, il se montra fort intéressé pour regarder des films avec le groupe, et de manière assez pacifiée.

Nous devrons néanmoins d’emblée interdire les films d’horreur ou pornographiques afin d’encadrer fermement nos découvertes dans le cinéma.

Al se prit, curieusement, d’affection pour le film Titanic, où il est vrai que ni l’amour ni le lien social ne permettent d’éviter le désastre. Il regardera ce film des dizaines de fois, s’identifiant totalement à Leonardo Di Caprio, et en apprendra tous les dialogues par cœur. Là aussi, branché sur le cinéma, il pensait beaucoup moins à se bagarrer avec ses camarades !

Dans ses écrits, il passera peu à peu à l’élaboration d’un scénario assez délirant autour des anges, du diable et de Dieu. Doux forçage de notre part, nous lui proposerons de transformer son histoire en véritable scénario de cinéma, en lui fournissant de vrais modèles de scénario professionnel venant de L’INSAS ou de l’IAD (Écoles de cinéma belges). L’écriture devint un appui solide.

Nous l’aiderons à structurer le scénario selon les critères en vigueur dans le cinéma : chronologie des scènes, INT/EXT, listes de costumes, lieux, acteurs, attribution des rôles, intendance, etc. Peu à peu, son projet se charpenta et il nous convoqua un beau jour en ces termes : « Ben et alors? Il est écrit mon scénario, quand est-ce qu’on le fait vraiment ce film ? Je ne vais quand même pas devoir me mettre à frapper mes copains pour vous convaincre ? ». Établissant le casting et la régie, nous lui proposerons de se fabriquer un pseudonyme d’acteur, ce qui l’illumina : Alessandro Damazio était né !

Effectivement c’était l’occasion rêvée, tant pour lui permettre d’apercevoir en ses compagnons de psychiatrie des acteurs potentiels plus que des punching-balls, que d’inviter enfin un véritable professionnel du milieu. Mon ami François Pirotte, talentueux cinéaste professionnel, accepta de participer à une semaine de camp de vacances, avec une excellente caméra prêtée par le célèbre cinéma Nova (cinéma alternatif bruxellois) et nous partîmes ainsi au Luxembourg tourner notre film, en juillet 2001.

Chaque soir nous regardions les rushes du film d’Alessandro qui se construisait minutieusement (avec un setting assez pro : claps introductifs, moteurs, action ! etc), mais aussi le déroulement des diverses activités réalisées en groupe dans la journée. Peu à peu, le projet d’Al prit forme, et il put même accepter que deux de ses copains réalisent aussi un petit film :

 

 

Depuis ce projet, Al n’a plus frappé personne. Il a même pu, en compagnie des acteurs du film devenus ses amis, remporter trois Pom’s d’or (au festival international du même nom organisé par La Pommeraie à Ellignies-St-Annne, sous le haut patronage de la reine, et en compétition avec des films des quatre coins du monde, en 2002).

Nous pourrons ensuite organiser un vernissage-expo pour la première projection à l’auditorium de la médiathèque de Mons en 2003, et aussi présenter le projet aux premières journées Cinémasile dédiées au cinéma en santé mentale, à Bruxelles, en 2004, au cinéma Nova, en compagnie de toute la troupe d’acteurs, fiers ! Le DVD fut rendu disponible à la location à la médiathèque. Et de nombreuses familles regardèrent ce film avec leur enfant, le découvrant sous un autre jour : acteur ! Et curieusement certaines relations familiales s’en détendirent !

Tout cela permit aussi de continuer d’inviter des preneurs d’image, comme la photographe Natacha Péant, qui prit le relais de Marie Ringlet pour de nombreux camps de vacances.

Les journées du Ri3 de Tournai, en 2006, furent pour moi l’occasion d’une première présentation clinique d’un cas d’autisme, en séance plénière, devant 700 personnes.

3) Un fantastique projet clinico-musical : Bôkan !

Après quelques années sans partenariat extérieur, mais avec de nombreuses joies en atelier peinture, au vu du changement de la population dans le groupe de vie et des demandes de certains ados, la possibilité d’inviter un ami musicien, Benjamin Bouffioux, lors d’un nouveau camp de vacances m’apparut comme pouvant profiter à la diversification des activités proposées aux jeunes, toujours dans l’optique de leur fournir des partenaires sachant-y-faire avec de vrais outils de travail. Cette fois, c’est la musique qui s’invita dans la clinique, et cette aventure reste jusqu’ici une de nos plus belle réussite : le projet Bôkan !

«Une chanson que braille, une fille brossant l’escalier me bouleverse plus qu’une savante cantate. » disait encore Jean Dubuffet dans L’art qui ne connaît pas son nom, Note pour les fins lettrés.

Grâce au projet Bôkan, les jeunes peuvent s’essayer, parfois pour la première fois de leur vie, au micro, aux percussions, à la guitare, au piano, à l’enregistrement, à la musique.            Étonnant d’originalité lyrique et de production spontanée interpellante, chacun s’approprie rapidement les objets musicaux et en fait un usage détonnant. Peu à peu des artistes émergent, des personnalités véritablement musicales se construisent et les enregistrements se succèdent.

Au fil des semaines et des ans, atelier après atelier, un matériel énorme s’accumule, des heures et des heures d’enregistrement où les résidents se lancent totalement dans l’aventure sonore. Travail de la voix, travail des voix. Boucan déjanté, reprises inédites, mélodies produites avec trois fois rien mais avec tout son cœur, toutes ses tripes, les enregistrements recèlent à coup sûr des perles inestimables, traces de moments où, branchés sur la musique et les instruments, les jeunes peuvent ainsi habiter ensemble un projet apaisé et apaisant, loin des conflits.

Diverses stratégies ont permis de constituer nos deux disques, le premier produit à compte d’auteur à cinq cents exemplaires en 2006, avec une nouvelle opportunité de recueillir un budget exceptionnel pour les jeunes. Deux morceaux en seront repris en 2008 sur la compilation, fondatrice de la collection, Musics in the margins, chez Sub Rosa, délicieuse maison de disque belge, en partenariat avec la galerie bruxelloise d’art outsider Art et marges.

Nous aurons ensuite la chance de rencontrer une nouvelle photographe, en la personne de la talentueuse Dominique Goblet, auteure de bandes dessinées et en projet artistique de longue date dans le milieu de la santé mentale. En visite à l’institution à deux reprises, en compagnie de Guy-Marc Hinant, membre fondateur du label Sub Rosa, Dominique Goblet permettra la réalisation d’un magnifique livret-photo accompagnant le nouveau CD.

Ce second disque, Bôkan ! Musics in the margins sera pressé professionnellement à deux mille exemplaires par Sub rosa, grâce à la complicité de Guy-Marc Hinant, avec une diffusion internationale, et sera mis sur orbite, de New-York à Tokyo en passant par toutes les bons disquaires d’Europe début 2009. Avec la phrase de Lacan, tirée d’Encore : « Il faudrait une fois, je ne sais pas si j’aurais jamais le temps, parler de la musique dans les marges ».

Nous apprîmes que le disque fut fort apprécié par diverses radios locales universitaires américaines, en particulier à New York et en Caroline du Nord.Il reçut aussi un mémorable commentaire du musicologue Jean-Jacques Birgé sur son blog Bôkan, les maîtres fous de la musique (lire ici). Et là encore nos productions seront reprises dans les collections de la médiathèque. Véritable consécration médiatique, tant il est difficile d’obtenir un sujet dans les médias à une heure de grande audience pour de tels projets, la fondation Roi Baudouin, nous permit en 2008, d’avoir un reportage en télé autour du projet musique sur la RTBF, (Séquence Coup de chapeau de l’émission Au quotidien, juste avant le JT, à une heure de grande audience, disponible sur You Tube :

Un des musiciens sera l’objet d’un exposé clinique, avec la participation inédite de Jean-Claude Maleval, au Ri3 de Clermont-Ferrand en 2009. Au même moment, Judith Miller autorisera officiellement la vente de nos productions musicales aux échoppes de divers colloques de l’ECF, et Philippe Lacadée s’en montrera particulièrement friand lors du Ri3 suivant, à Bordeaux.

Au Centre de jour, sous la direction d’Axel Henrard, Benjamin Bouffioux, quittant l’institut, pourra agréablement passer le relais à David Hertsens, talentueux touche-à-tout créatif, qui reprendra l’atelier musique en 2010 et y adjoindra la possibilité d’y réaliser des courts-métrages d’animation produits par nos jeunes artistes à partir de leurs dessins (eux aussi primés aux Pom’s d’Or à la Pommeraie et disponible online sur le site de la porte ouverte, comme tant d’autres de nos productions : découvrir ici).

Des performances musicales live deviendront possible (Festival de Stoumont, Grand prix de la chanson) et nous filmerons leurs performances. Transportés de joie, nos jeunes artistes pourront présenter leurs travaux sur une vraie scène, et là aussi remporteront des prix, en particulier le prix de la SABAM au Grand Prix de la chanson de Charleroi, après une magnifique prestation sur scène professionnelle.

Ce sera aussi pour moi, curieusement, le moment de compléter ma formation par les fantastiques ateliers de psychanalyse appliquée, organisés à Bruxelles par Monique Kusnierek et quelques autres. Parallèlement à cette formation, je commencerai à témoigner des projets en prononçant des conférences multimédia (intégrant fragments video et audio), en particulier pour la plateforme de recherche Europhilosophie de l’université de Toulouse Le Mirail, qui, passionnée par l’exposé des projets, me proposa de devenir chercheur-doctorant en philosophie, ce que j’acceptai.

Même si je ne terminai pas la thèse, de nombreuses conférences furent prononcées autour de ce travail et sont disponibles pour certaines sur You Tube

4) Le cinéma du réel, le témoignage clinique par l’écriture

Enfin, et ce depuis 2011, un magnifique nouveau projet de documentaires est en cours de tournage et de montage, réalisé par Clémence Hébert, produit par Dérives, soit la boîte de production documentaire des frères Dardenne.

Car oui, même s’ils ne parlent pas vraiment, les autistes ont beaucoup de choses à nous apprendre. Car oui, le grand public sait assez peu de choses tant sur la qualité du partenariat clinique au quotidien que sur les joies partagées en atelier autour de vrais objets de travail, des outils « pas en plastique » (une vraie guitare, un vrai musicien, une vraie caméra, une vraie cinéaste). Car oui, si on joue de prudence et de délicatesse pour introduire un dispositif audio-visuel, ne voulant être intrusif pour personne, alors, alors, alors, on tombe sur un monde merveilleux que l’on n’aurait jamais pu s’imaginer.

Des moments touchants, de belles images, une présence silencieuse mais forte, une lumière envoûtante, des objets, des sourires…

Nous pourrons projeter notre premier film sur l’autisme, plein de silences et de douceur partagés, La Porte Ouverte, devant un large public dans les médiathèques de Bruxelles, Charleroi et Mons, laissant ensuite la place au débat sur de nombreuses questions sur l’autisme, le réel, le cinéma, le regard etc. Le public fut conquis.

La même cinéaste sera invitée l’année suivante par mon directeur, Serge Fourmeau, à participer à un trek dans le désert marocain afin d’y filmer la longue marche d’un groupe d’adolescents de l’institut. Elle en produira le film Drôle de pays, co-produit lui aussi par les frères Dardenne. Le DVD est en cours de préparation.

Nous pourrons, avec l’association de parents français, La Main à l’oreille, grâce à Mireille Battut et Mariana Alba de Luna, et en présence d’Éric Laurent, psychanalyste, au moment de la sortie de son ouvrage La bataille de l’autisme (Navarin / Le Champ freudien)diffuser notre court-métrage à Paris devant une salle comble, fin 2014. Éric Laurent nous gratifiera longuement de son commentaire sur ce projet. Tout le débat sera enregistré.

La semaine suivante, sous l’égide bienveillante de Bruno de Halleux, devant plus de cent cinquante personnes, les deux films seront diffusés à Bruxelles et un débat s’ensuivra. Nos films ont aussi été projetés au centre Delvaux lors du festival du film en santé mentale Psymages. Le bureau de ville de l’ACF de Liège nous fera le cadeau de pouvoir projeter nos deux films à la Cité Miroir, en compagnie de Bruno de Halleux et de mon ami Daniel Pasqualin, le lendemain de sa nomination en tant qu’AE. Daniel nous gratifiera – le cinéma étant plutôt son rayon – de commentaires élogieux. Ce fut un moment mémorable.

De plus, fin 2014, pour les soixante ans de l’institution, une grande journée d’étude sera organisée, par mes collègues Coralie Quevrin et Vanessa Gommes, aidées de quelques autres : Plusrielles : Quand la collectivité rencontre la singularité. Des centaines de personnes viendront à cette formation et en repartiront enchantées, vue la qualité de l’événement. De nombreux psychanalystes chevronnés furent conviés à discuter des cas cliniques d’autisme ou de psychose présentés par l’institution.

Katty Langelez nous invitera à faire une diffusion privée suivie d’un débat aux ateliers du 94 à Houdeng-Goegnies, où elle travaille. Ensuite, Alexandre Stevens, suivi par Dominique Holvoet, proposera la diffusion au Courtil, là aussi suivie d’intéressants débats avec la salle. Véronique Servais écrira un merveilleux texte et le tout sera publié sur leur site Courtil en lignes (découvrir ici).

Enfin, et ce depuis 2014, notre poétique cinéaste Clémence Hébert, prépare son troisième film en notre compagnie, un long métrage autour du dramatique cas de Kev, film qui devrait être terminé fin 2017, production belgo/française CNC, Dérives (Dardenne) et La Porte Ouverte, diffusion européenne en 2018.

Cerise sur le gâteau, mon ami Till Grohmann, doctorant en philosophie et phénoménologue, rencontré à l’ENS et à Toulouse pour une conférence partagée au FIPS (Forum international de philosophie sociale et politique :

Il viendra participer à de nombreuses semaines de camps de vacances durant les sessions de tournage. L’œil du philosophe produira de merveilleuses observations cliniques et ces écrits furent remis aux équipes, épatées de tant de finesse. De plus, Till nous fera le cadeau de dédier sa thèse, remaniée au gré de ses aventures cliniques et théoriques en notre compagnie, Aux enfants de La Porte Ouverte, ce qui ne fût pas sans m’émouvoir. Il reçut la plus grande distinction et les félicitations du jury : un philosophe sur le terrain de la clinique et de la pratique à plusieurs, plutôt rare !

5) Nouveaux partenariats artistiques en institution et médiatisation internationale

Ensuite, durant plus d’une année, de 2015 à 2016, le célèbre chasseur de sons Brice Cannavo participera aux activités du Centre de jour très régulièrement. Après Clémence « la femme à la caméra », « l’homme à la perche » vint nous rejoindre. Et il n’importuna personne. Au contraire, il devint un partenaire de jeu complémentaire aux activités thérapeutiques locales, comme tous les artistes invités, dans la plus grande bienveillance ! Et avec le souci de remettre à chacun des participants ainsi qu’à leurs familles, un exemplaires de « leur » pièce.

En prime, Brice aura l’idée d’inviter des artistes dans l’institution pour faire des concerts, de beat vocal, de chorale de cinquante personnes avec harpiste : les jeunes de l’institution, héberlués, adorèrent ces sessions, rarement vues à Blicquy ! Brice Cannavo en réalisera une pièce radiophonique Les petits princes, qui sera diffusée au Théâtre Océan Nord, à la Balsamine, au Théâtre National et dans l’émission fantastique de Pascale Tison Par ouï-dire sur la Première, trois vendredis soirs d’affilée, un honneur !

Deux heures trente de poésie radiophonique où les jeunes ont la part belle – même si certaines crises figurent dans cette œuvre – de beaux moments de plaisir partagé accompagnent la lecture, faite par des acteurs professionnels, du texte de Saint-Exupéry, (pièce disponible à l’écoute sur simple demande à l’auteur en cliquant ici).

Et enfin, dans notre actualité la plus récente, ce grand projet photographique avec Michel Loriaux, « Seul avec les autres ». Durant deux ans, d’abord en camp de vacances, ensuite comme responsable d’un atelier photo au Centre de jour, Michel prendra des centaines de photos du travail thérapeutique et des jeunes de l’institut. Merveilleuses photos, pleines de lumières et d’ombres. Nous en ferons une exposition de quatre-vingt clichés. Nous débuterons par une première exposition d’une trentaine de tirages, qui réunira à la Manufacture Urbaine de Charleroi plus de deux cents personnes, pour son vernissage avec une belle couverture dans la presse (entre autres ici).

Mais soulignons aussi, que cette exposition aura, avant cela, égayé le premier avril 2017, la journée mondiale de l’autisme à Paris, aux chapiteaux turbulents, événement organisé chaque année par nos amies de La Main à l’oreille Mariana Alba de Luna et Mireille Battut. De nombreuses photos y seront proposées au public et Michel pourra y témoigner de son travail de deux ans dans notre institution.

Bettina Frattura, quant à elle, nous fera l’honneur de nous associer au vernissage de l’exposition réalisée par l’association Funambules à la Maison des associations de Lille, en mai 2017.

Elle me demanda d’y lire mon texte écrit pour une des photos de Michel que Philippe Hellebois avait eu la gentillesse de publier sur le blog des journées de l’École (lire ici).

L’exposition ira ensuite fleurir les murs de la communauté européenne, au Berlaymont, à Bruxelles, fin 2017 ! Et Michel Loriaux a ouvert un laboratoire de photographie argentique à l’institut pour que les jeunes puissent s’essayer au développement de leurs œuvres (découvrir ici).

Depuis la rentrée de septembre 2017, signalons aussi le jeune et talentueux musicien parisien Antoine Loyer . Il sera engagé au centre de jour pour un atelier spécial Grand Prix de la Chanson 2018. Immédiatement séduit par l’aventure, il en produira un blog et un projet d’album des plus prometteurs.

6) Pour ne pas conclure

Notre vingt et unième siècle commençant ne peut que constater une progressive pénurie de lieux d’accueil spécialisés dédiés à des jeunes gens en difficulté. Certains parmi eux ne font pas usage de la parole pour se faire comprendre. D’autres sont submergés par des torrents de verbiage qu’ils peinent à ponctuer. Leur rapport au corps, au langage, à l’angoisse, au lien social est à pacifier, sur la durée. Après de longs mois, voire des années de travail préliminaire, en institution de soins, il devient envisageable qu’ils s’apaisent quelque peu pour construire un abord plus supportable au monde.

Les projets ici présentés témoignent, après de longs mois ou parfois d’années de travail préliminaire, de la possibilité d’intégration d’un dispositif audio-visuel à la clinique des psychoses et de l’autisme, avec des résultats de pacification et de créativité. Des effets de miroirs cinématographiques à la transformation du cri en voix, selon le dire d’Éric Laurent sur le projet Bôkan.

Il s’agit d’accueillir chacun selon ses singularités, ses potentialités et ses modalités subjectives : que chaque jeune puisse se construire son institution à partir des partenaires et des objets proposés. Ce qui pose beaucoup de questions, cliniques, éthiques, voire politiques.

Comment se faire partenaire de jeu, d’élaboration et de construction, de jeunes autistes et psychotiques déjà fort occupés eux-mêmes à traiter le réel selon leurs solutions ? Comment faire offre de manière non-intrusive, pacifiante, adéquate, auprès de « sujets » qui refusent d’en passer par l’Autre et l’aliénation signifiante ?

Comment respecter les artifices de leur énonciation et enclencher un « dialogue » ? Sans le secours d’aucun discours établi, les dit-psychotiques ou les dit-autistes peuvent parfois s’apaiser et s’autoriser à nous intégrer dans leur traitement.

« Le langage est un mauvais outil, et c’est bien pour ça que nous n’avons aucune idée du réel » disait Lacan. Les dits-psychotiques, et plus particulièrement les dits-autistes, peuvent s’aider d’outils symboliques et imaginaires pour habiter ce monde, en continuant d’y traiter inlassablement le réel selon des solutions inédites, hors-sens, hors-normes. Nous tentons, à plusieurs, de proposer au quotidien un cadre réglé, adapté à chacun, pour leur permettre d’habiter sa lalangue pleinement en se construisant un corps, outillé de partenaires troués et réglés, ce qui permet parfois à certains adolescents d’élaborer des suppléances qui réduisent la fragmentation imaginaire, tempèrent la férocité des hallucinations et permettent réellement de se construire un « monde » vivable.

Et donc, il faut le souligner aussi, c’est la qualité du travail clinique des équipes locales au quotidien, qui nous permet de nous risquer à inviter des artistes à travailler sur le terrain pour le plus grand bien de tous.

Je terminerai en citant Jean-Claude Maleval, dont le livre L’autiste et sa voix (Seuil / Champ freudien) est si essentiel à notre clinique : « Pour cela, il s’agit de prendre au sérieux des inventions parfois aussi infimes que précieuses pour obtenir un apaisement. Grâce à quoi certains autistes parviennent à s’extraire d’un statut initial d’objet, à développer des pseudopodes vers l’Autre, parfois même à créer un Autre de synthèse.»

À cet égard, Donna Williams ne tergiverse pas, « la meilleure approche serait celle qui ne sacrifierait pas l’individualité et la liberté de l’enfant à l’idée que se font de la respectabilité et de leurs propres valeurs les parents, les professeurs comme leurs conseillers. Quand celle-ci est suivie, quand le sujet autiste est placé dans des conditions où ses inventions et ses îlots de compétence sont valorisés, et non tenus pour des obstacles à son développement, quand le choix de ses objets et de ses doubles est respecté, il s’avère possible pour lui, non pas de sortir de l’autisme, mais de son monde immuable et sécurisé, ce qui lui ouvre un accès à la vie sociale. Alors seulement peut advenir une mutation faisant de l’autiste un sujet responsable et assumant son devenir. »

Les artistes invités en institution depuis bientôt vingt ans, amenant de réels outils de travail de manière calculée et non-intrusive, ont certainement permis aux adolescents rencontrés de s’outiller de partenaires complémentaires à leur travail. Et il semblait important de laisser une trace de ce parcours, pour sa suite.

Frédéric Bourlez, Bruxelles, 4 février 2018.