La place du diagnostic et ses enjeux

Par Lydie Lemercier-Gemptel.

Le 9 mars dernier se déroulait à Rouen, devant un public nombreux, un premier après-midi de travail du séminaire « L’autisme, lieu de débats[1] » avec pour thème : « La place du diagnostic et ses enjeux[2] ». Ce séminaire, inscrit dans le courant de réflexion menée sur l’autisme depuis plusieurs années, a pour objectif de permettre des échanges entre des professionnels de différents champs, différentes orientations, impliqués dans la clinique de l’autisme, reflets aussi de son actualité brûlante sur la scène publique…

L’Equipe Territoriale d’Appui du Diagnostic d’Autisme

Comment à partir de ces différentes classifications, différentes lectures, selon l’orientation des différents professionnels, trouver une boussole ? Comment établir un diagnostic aujourd’hui ? La mise en place du Centre de Ressource Autisme en 2005 puis de l’ETADA (Equipe territoriale d’Appui du Diagnostic d’Autisme) en 2015 ont pour vocation d’établir le diagnostic d’autisme. Lisa Richard-Lefebre, psychologue clinicienne, nous a ainsi présenté ce nouveau dispositif des ETADA, chaque ETADA ayant ses particularités dans la constitution de son équipe, dans son fonctionnement. Ce sont des structures dites de seconde ligne, saisies par les structures dites de première ligne, CMP, CMPP, là où les soins de l’enfant peuvent déjà être engagés… Un des principes de l’ETADA est de remettre au centre de l’évaluation et de la démarche diagnostique la notion de pluridisciplinarité des approches, de conceptions et de théories. Aucun membre de l’équipe n’est à temps plein dans l’évaluation, chacun disposant d’un autre poste de prise en charge sur une structure de type CMP ou hôpital de jour. L’évaluation est un long processus décliné en 5 temps mais il peut être partiel selon le parcours déjà effectué. Les observations de l’enfant sont filmées, discutées notamment avec les parents invités simultanément à observer, derrière une glace sans tain, l’interaction de leur enfant avec le professionnel autour d’activités à visée ludique. A ces observations s’ajoutent les évaluations chiffrées à partir de tests variables selon l’âge de l’enfant et sa problématique (évaluation des capacités cognitives, psychologique, compréhension sociale, épreuves neuropsychologiques….) ainsi que les éléments recueillis auprès des parents à partir d’un long entretien s’efforçant de retracer l’évolution de l’enfant, ses différentes acquisitions. Une évaluation en milieu écologique, sur des temps scolaires, peut également être décidée.

A l’issue de la collecte de ces observations directes et indirectes, l’équipe rédige un écrit commun qui sera remis aux parents sur le temps de la restitution qui leur est proposé en présence du médecin et de tous les professionnels ayant participé à l’évaluation. C’est un moment délicat puisqu’il s’agit de confirmer ou pas le diagnostic d’autisme, avec ou non des troubles associés, d’axer sur les difficultés qui ont été mises en évidence mais aussi et surtout de mettre en lumière toutes les compétences et capacités de l’enfant afin de donner de nouvelles pistes de travail pour la suite de la prise en charge. Ce « hors-temps » et « hors-lieu » souligne Lisa Richard-Lefevre, peut représenter « un tournant et un moment de levier thérapeutique comme lors de toute évaluation psychologique », un temps où l’on pense l’enfant et la « singularité de son fonctionnement psychique », dans une tentative de faire exister « cette subjectivité derrière des pages pouvant paraître déshumanisées et désincarnées ».

Les effets de l’annonce

Plusieurs parents de La Main à l’Oreille sont venus témoigner de leur parcours singulier face à cette annonce du diagnostic, là où la place du savoir est interrogée, celui de la science, un savoir totalisant et chiffrée, qui convoque chez chacun des attitudes contrastées, entre attente et refus, mêlées de doutes, d’angoisse et de culpabilité, avec pour certains, cette impression d’être invités, pas à pas, à nommer ce que les professionnels taisent, évitent ou révèlent au détour de démarches administratives (constitution du dossier MPPH…), maladresses de langage, malentendus d’où résonne l’indicible. Qu’elle soit directe, indirecte, rapide ou différée, l’annonce constitue, pour beaucoup, un « moment clé », « un mot-bombe », instant où tout est mémorisé, le lieu, le praticien, l’attitude de l’enfant, la posture du parent, « moment traumatique » qui délimite un avant-un après, au risque de figer chacun dans un éternel présent faute d’un avenir alors anéanti… La remise des résultats chiffrés des compétences de l’enfant tend également à mortifier, mots étranges, étrangers, relatifs à un enfant mesuré, découpé, anonymisé, des évaluations bien souvent rangées, mises de côté, enfermées pour tenter de continuer au-delà de ces effets de sidération ou de vœu de fuite. Comment, en effet, rouvrir une dynamique ? Comment sortir l’enfant de ces chiffres, de ces graphismes ?

Chaque parent a pu évoquer la place décisive du praticien présent alors, à même d’accueillir l’innommable, qu’il s’agisse, pour la plupart d’un lieu de soin mais aussi, ici, de l’ETADA, un praticien qui puisse relancer la chaîne signifiante, ouvrir sur un projet thérapeutique pour l’enfant, accompagner sa famille, désir incarné qui arrime, borde, oriente, dessine un chemin résolument tourné vers l’avenir, cet avenir qui échappe à toute prédiction….

Aurore Cahon a ouvert ces échanges sensibles et intenses par un texte dense et vif, un effort de poésie opposé ainsi à la rigueur du chiffre, des statistiques qui évaluent, épinglent, nomment… Face à l’annonce pourtant attendue, souhaitée, redoutée, elle veut partir, prendre par la main son fils pour l’emmener sur une île, là où, écrit-t-elle, « tu pourras tourner, pour l’éternité ». L’enfant, dans le bureau médical, crie de plus belle tandis que son père s’efforce de l’apaiser.

« Le médecin lui dit :
‘ »Monsieur, s’il ne peut pas crier ici,
où il le fera ?' »
Et d’un sourire dit :
« Eliott est chez lui ici »
Mes mains lâchent mon sac.
Je peux la regarder maintenant. »

Fallait-il pour cela que les effets de l’annonce soient noués à une adresse, celle d’un praticien impliqué lui-même dans une désir qui ne soit pas anonyme, un corps qui s’engage, retient le corps de l’enfant, le corps de sa mère. Qu’en est-il alors lorsque le lieu de diagnostic est disjoint de l’adresse du soin ou lorsque le lieu de diagnostic oriente vers des lieux de soins saturés qui ne peuvent plus assurer leur fonction d’accueil ?

 

[1]Ce séminaire est animé par Lydie Lemercier-Gemptel et Claire Pigeon de l’ACF-Normandie.

[2]Avec pour invités : Bertrand Barcat de l’ACF-Normandie, Lisa Richard-Lefevre de l’ETADA, Aurore Cahon et des parents de La Main à l’Oreille. Lire l’annonce sur le site de l’ACF Normandie.