Par Isabelle Orrado.
Joseph Schovanec est un philosophe et écrivain français. Dans une courte vidéo intitulée « Pourquoi pour certains autistes se nourrir est un combat (à voir ici) », il explique comment les personnes autistes – lui-même étant autiste – peuvent rencontrer de grandes difficultés à s’alimenter. Pour cela, il prend l’exemple d’une célèbre pâtisserie, le macaron. Il affirme : « le macaron, avec deux a, est une arnaque ». Joseph Schovanec propose alors une explication très claire à cette assertion. Dans un macaron de goût citron, seul son cœur est aromatisé au citron, pas les biscuits. Ceci constitue une « difficulté majeure » pour qui est sensible « à la fois sur le plan gustatif, à la fois sensible, aux mensonges ». Le philosophe vient nouer ici de façon très précise l’objet oral et le langage. Le signifiant, ne disant pas tout de la chose, réduit le macaron à être un mensonge. Le manger devient alors impossible ! Ce type de logique a conduit Joseph Schovanec lorsqu’il était enfant à être « gravement anorexique ».
Dans son livre autobiographique Je suis à l’Est ![2], Joseph Schovanec explique avoir parlé tardivement. Vers l’âge de 6 ans il a pu commencer à s’exprimer mais seuls ses parents et sa sœur arrivaient à le comprendre. Son discours se centrait sur ses passions, notamment l’astronomie. Il relève alors l’opacité qui ressortait de ses propos lorsqu’il énonçait, par exemple, des listes de noms d’étoiles : « Supposons que vous soyez psychologue. On amène un enfant autiste dans votre cabinet, qui commence par ces mots : “Alnitak, Alnilam, Mintaka.” Concluriez-vous à quelque forme de psychose infantile ? D’autisme compromettant toute communication humaine ? Ou bien, reconnaîtrez-vous les noms de trois étoiles de la ceinture d’Orion et entameriez-vous un riche échange astronomique ? [3] » Voilà le défi que tout psychanalyste a à relever, trouver dans ce qui est dit la logique de ce qui se dit.
C’est à partir de cette affinité que Joseph Schovanec a pu commencer à s’inscrire dans le monde : « Ciel et Espace est devenu bien plus qu’une passion : un véritable outil de création de ma personnalité. Et de socialisation.[4] » En dehors de cet intérêt électif pour l’astronomie, il repère que la relation aux autres s’avère difficile. Ainsi, il détaille le « cirque social » que constitue une conversation téléphonique et notamment la nécessité de manifester sa présence, par un petit bruit, auprès de son interlocuteur toutes les 15 à 20 secondes. Néanmoins les relations sociales ne peuvent se réduire à une règle et nécessitent une certaine improvisation difficile à trouver pour Joseph Schovanec. Lorsque deux lycéens s’embrassent à la sortie de l’établissement doit-on les interrompre pour leur dire au revoir ou partir discrètement et prendre le risque de l’impolitesse ? Joseph Schovanec apprend alors à introduire une certaine souplesse dans les règles qu’il s’applique.
Durant son enfance et adolescence, ce futur philosophe élargit ses centres d’intérêt. Jules Verne notamment le fait passer de son gout pour les sciences à la littérature. Il lit certains de ses ouvrages en plusieurs langues cherchant à cerner l’usage des mots sélectionnés par les traducteurs : « Pour moi, Voyage au centre de la Terre était le voyage au centre des mots.[5] » Vouloir cerner ce qui échappe dans le langage lui permet de développer un certain rapport au monde et le conduit à apprendre différentes langues et à voyager.
Très précis sur les mots qu’il choisit, il propose, un peu par provocation comme il le dit lui-même, de définir l’autisme à partir de l’expression « personne avec autisme ». Il s’explique : « Non pas que je crois que l’on puisse avoir un jour l’autisme comme une valise […] et […] la laisser le lendemain à la maison, mais parce que la simple allusion à cette possibilité met en lumière le fait que la personne, quoi qu’il arrive, dépasse de sa valise.[6] » C’est ici un véritable appel pour une approche de l’autisme qui ne réduit pas l’être à un individu évaluable mais qui s’intéresse aux divins détails d’une clinique qui ne peut se faire qu’au un par un.
Revenons à nos macarons. Joseph Schovanec propose, non sans humour, de créer des « macarons autistes » qui seraient « véritablement au goût de citron », c’est-à-dire que l’ensemble de la pâtisserie, biscuit et crème, serait au citron. Bref, « des macarons qui tiennent leurs promesses ».
[1] Schovanec J., « Pourquoi pour certains autistes se nourrir est un combat », vidéo disponible sur internet : https://www.youtube.com/watch?v=GSvTFIho5D8
[2] Schovanec J., Je suis à l’Est !, Paris, Plon, 2012.
[3] Ibid., p. 21.
[4] Ibid., p. 35.
[5] Ibid., p. 151.
[6] Ibid., p. 247.