L’expérience du CERA. Autistes, parents et psychanalystes : se retrouver du même côté

Par Christiane Alberti, directrice du CERA.
Intervention en ouverture de la matinée du CERA du 25 mai 2019.

Je suis très heureuse d’être présente parmi vous ce matin, même si ma voix me fait défaut momentanément.
Cela me donne l’occasion de vous dire quelques mots sur l’expérience du CERA puisque nous arrivons au terme de deux années d’enseignement.

Rappelons-nous dans quel contexte politique en matière d’autisme le CERA a été créé. C’est un contexte marqué en France par un événement majeur en novembre 2016 qui a fait date : un projet de résolution déposé par un député, Daniel Fasquelle, invitait le Gouvernement « à fermement condamner et interdire les pratiques psychanalytiques sous toutes leurs formes».  Nous avons donc été confrontés à une offensive sans précédent visant à faire interdire la psychanalyse, à la faire disparaître de l’espace public et à imposer des méthodes comportementales.

A l’initiative de l’Ecole de la Cause freudienne (école de psychanalyse) et de l’Institut de l’Enfant, un Appel fut aussitôt mis en ligne pour dire « Oui au libre choix de la méthode de soin, non à l’interdiction de la psychanalyse ». Après un débat conséquent et une campagne d’opinion qui a été soutenue par le blog La Cause de l’autisme crée à cette occasion et qui depuis deux ans est devenu un médium majeur de la politique du CERA grâce à l’engagement décidé de Jean-François Cottes, le projet de résolution a été rejeté par l’assemblée nationale

Que s’est-il passé ?

On sait que, depuis les années 1990, la question de l’autisme est devenue un cheval de Troie pour les thérapies cognitivo-comportementales, méthode TEACCH d’abord, ABA ensuite, pour faire entrer de force en France cette approche thérapeutique. A partir de là, ces pratiques ont peu à peu été imposées aux praticiens et aux familles.

Cet épisode, véritablement traumatique pour les praticiens et pour les parents de sujets autistes, nous a poussés à interroger et interpréter notre positionnement dans l’espace public.

C’est dans ce contexte que la création d’un Centre d’Etude et de Recherche sur l’Autisme (CERA) a vu le jour. C’est une initiative de Jacques-Alain Miller qui a voulu qu’un lieu d’études et de recherche spécialement dédié à l’autisme soit créé à l’ECF, par l’ECF. J’ai lu assidûment les travaux qui ont été exposés au long de ces deux années. Ils témoignent de recherches assidues et ajustées à la pratique et à l’expérience des praticiens et des parents. Il ne s’agit pas d’un lieu d’expertise ou l’on chercherait à unifier la doctrine à la figer, ce qui est contraire à l’orientation lacanienne.

Il s’agit, avec ce Centre et les activités qu’il organise, de créer un pôle de conversation dans l’espace public pour les praticiens, les chercheurs, les parents et les sujets autistes. Un lieu pour tous ceux qui veulent par-dessus tout défendre la liberté du choix de soin comme de l’éducation. Bref, un espace de liberté, un lieu de parole libre de toute doxa pure.

L’innovation fondamentale de ce lieu est, à mes yeux, de vouloir témoigner de la façon dont psychanalystes et parents se font partenaires dans l’accueil et l’accompagnement ; comment, aussi, ils œuvrent pour l’accès à la scolarité, à la vie sociale. Et il s’agit d’en témoigner à l’encontre des calomnies qui sont répandues sur la pratique des psychanalystes dans lesquels nous ne nous reconnaissons pas. Ce lieu peut se rendre utile pour aborder des questions qui font l’objet de débats actuels en France : l’inclusion scolaire, l’accueil et le devenir des sujets autistes adultes, le travail avec les familles, l’accueil en institution.

L’autisme ne saurait être pensé sans les parents, partenaires irremplaçables. C’est d’ailleurs pour cette raison que, pour la première journée du CERA, nous avons choisi comme thème d’étude Autisme et Parentalité ; parce que les parents connaissent leur enfant, et ce qu’ils en connaissent ou reconnaissent de lui tient à la relation, au lien d’amour et de corps qu’ils ont avec lui. Et dans ce lien, par ce lien, ce savoir peut devenir une aide précieuse. C’est un savoir qui s’inscrit en faux contre les généralisations abstraites et déshumanisantes.

Dans le dialogue qui se noue avec les parents, les psychanalystes reconnaissent ce savoir authentique et, par la voie de la parole, ce qui semblait figé est remis en mouvement.

N’est-ce pas à cet endroit que les parents et psychanalystes peuvent se retrouver du même côté ?

Si le dialogue avec les parents est salutaire c’est sans doute en raison d’un goût, d’un désir commun, susceptible de se condenser dans le prix spécial que nous accordons à la parole. C’est pourquoi ce lieu entend être un lieu de recherche par la conversation.

Voilà ce qui a été mis à l’expérience et qui s’est réalisé au fil des matinées d’enseignements. Et je veux remercier chacun de vous qui par votre présence et votre contribution avez contribué à créer ce lieu.

Surtout, il fallait pour cela créer les conditions de la conversation, minutieusement, avec toute l’attention nécessaire. Ce n’était pas gagné d’avance. Il fallait surtout un désir fort de conversation. Laurent Dupont a été et est tout particulièrement animé de ce désir, il a su créer cet espace de liberté et donner vie à ce qui n’était au départ qu’un signifiant. Il a animé, deux années durant, sans relâche, une conversation contemporaine sur l’autisme, en prenant toujours la dimension de l’autre. Pour tout dire, à ce lieu d’enseignement il a donné un style, car le style c’est l’objet qui nous pousse à dire. Et je tiens ce jour à le remercier de tout cœur.