Des styles et des méthodes. Deux ans.

Par Laurent Dupont, coordinateur des enseignements du CERA.

Le lancement du CERA en 2017 a donné lieu à deux grands axes de travaux : une journée d’étude, Autisme et parentalité, et un enseignement, Des styles et des méthodes, sur un cycle de deux ans.

En tant que coordinateur des enseignements du CERA, je suis heureux de faire un retour sur ces deux années très riches de rencontres et d’élaborations nouvelles.

Tout d’abord, il fut évident que Christiane Alberti, directrice du CERA, Éric Zuliani, secrétaire, et moi-même, coordinateur des enseignements, ne sommes pas connus pour être des « spécialistes » de l’autisme. Les spécialistes, Lacan s’en méfiait. Il abhorrait les didacticiens de tout poil et autres nantis faisant rente d’un savoir qui se répétait de ne plus s’interroger. Là, avec Christiane, Éric et moi, c’était une mise au travail de chacun, que nous pourrions comparer à ce que Lacan avait imaginé pour son École : le cartel. Notre plus-Un aurait été chaque fois celui ou celle qui venait prendre la parole aux enseignements du CERA, mais notre position extime et se faisant enseigner nous mettait également en position d’interroger, de décompléter le savoir de l’Autre, voire de le réinventer ou, au moins, d’en faire sourdre du nouveau.

La présence systématique de parents venant faire témoignage a permis là aussi de faire surgir du nouveau. Ils ne venaient pas pour recevoir la leçon, mais bien plutôt pour nous enseigner, ce qu’avait d’emblée relevé Christiane Alberti : les parents ont un savoir et ce savoir-là, il est crucial pour la psychanalyse de s’en enseigner – tordant le cou, car c’est hélas encore nécessaire, à la doxa qui continue à faire feu de sa diffamation contre la psychanalyse qui culpabiliserait les parents.

Cela a permis de donner la parole à tous ceux qui se sont mis au travail de pouvoir dire quelque chose de cette tentative de rencontre avec le sujet dit autiste. Cette option posée, cela implique que le CERA n’a pas de visée dogmatique, il ne cherche pas non plus à produire une doctrine de l’autisme ; il offre à chacun qui s’oriente de la psychanalyse lacanienne de pouvoir témoigner de cette tentative : sur quoi elle repose, ses effets, son orientation. Myriam Chérel, Bruno De Halleux, Éric Laurent, Jean-Claude Maleval, Jean-Robert Rabanel, Alexandre Stevens, Yves-Claude Stavy ont fait plus que se prêter au jeu ; ils ont, chacun, éclairé leur position quant à la question de l’autisme, approche épistémique mais aussi clinique : comment permettre la rencontre. Dans notre champ, les approches sont diverses mais la psychanalyse d’orientation lacanienne, au-delà des divergences, offre des concepts, des outils pour penser et rencontrer des sujets déjà au travail de cette rencontre initiale entre le vide de l’Autre et un corps substance jouissante. Cela est transtructural et la réponse autiste nous éclaire, en le dénudant, ce moment traumatique de l’irruption de lalangue dans le corps, lalangue elle-même portée par un corps.

Le titre proposé par Jacques-Alain Miller pour ce cycle d’enseignement du CERA, Des styles et des méthodes, posait les bases d’un travail hors case. Dans notre champ, il est plus souvent question du style et Jacques Lacan y fait référence à plusieurs reprises. Ne citons que « le style c’est l’homme même », en ouverture des Écrits, pour voir qu’il y a là un appel à la singularité. Le pluriel du titre montre bien que c’est la singularité qui est visée. Pour la psychanalyse, nulle rencontre possible au nom de l’universel ou du protocole, il y faut sa mise. Les parents, plus que tout autre en savent quelque chose et en ont témoigné.

Plus rare est notre recours au signifiant méthode. Et pourtant, que ce soit Descartes avec son discours, Freud avec sa technique, Lacan avec son enseignement ou Jacques-Alain Miller avec son orientation, la méthode n’est pas un « gros mot ». C’est un signifiant, un signifiant dont le pluriel, là aussi, rend compte que la psychanalyse n’est pas sans orientation. Lacan nous a dotés d’outils, d’une approche de l’humain comme réponse du réel qui renvoie les tenant du neuro-scientisme, comme les fanatiques du « génétisme », dos à dos. Contrairement à ce que d’aucuns soutiennent, la psychanalyse, et notamment l’orientation dans le tout dernier Lacan proposée par Jacques-Alain Miller, permet de produire des approches et des concepts qui ne nous laissent pas sans discours, sans « méthodes », que je laisse au pluriel.

Ce pluriel a fait résonner la parole des parents aux enseignements du CERA. Toujours émouvante, sincère et enseignante, cette parole montrait les impasses, les découragements parfois, mais toujours un désir décidé dans l’accompagnement de leur enfant. Un savoir-faire s’en dégage ; une méthode ?, non, sans doute pas, mais une capacité à démentir au quotidien les tenants d’une morale de l’autisme, rééducative et protocolisée. Des mères, des pères sont venus prendre la parole et témoigner devant un public d’étudiants, de professionnels, de parents, de curieux. Ils n’ont pas reculé à faire résonner la singularité de leur engagement auprès de leur enfant.

Il s’en est dégagé que cette rencontre avec les sujets dits autistes ne peut se faire qu’avec les parents.

Des cliniciens également sont venus témoigner de leur travail de toute la France, mais aussi de Belgique, d’Espagne et de Suisse. Vignette, suivi au long cours, chacun y montrait sa mise ; là aussi le vivant de la pratique a résonné des mots de ces personnes qui s’investissent auprès de sujets en laissant leur savoir de côté, mais pas sans méthode, avec leur style.

Pour ma part je dirai que les enseignements du CERA furent une expérience chaque fois nouvelle. La participation du public fut généreuse et nombreuse. La parole a circulé comme rarement. Cette expérience a eu des effets, effets d’interprétation, effets dans le corps elle a percuté des signifiants de ceux qui sont venus là, au 1 rue Huysmans, à Paris, au local de l’ECF, dire leurs tentatives de toujours renouveler pour faire rencontre, avec un patient, avec une fille, un fils. Moment parfois de poésie, qui, du coup, transmettait l’indicible.

Le CERA est une invention de Jacques-Alain Miller. Christiane Alberti lui a donné, dès le départ, cette orientation au plus près de l’idée d’expérience avec son style à elle, tout en douceur et en rigueur. Il ne restait plus qu’à suivre la trace.

Maintenant est venu le temps de la permutation, le bureau du CERA va changer, les enseignants aussi. C’est très bien qu’il en soit ainsi, pour que d’autres aient la chance de vivre cette expérience inoubliable.