À propos du film Quelle folie.
Par Patricia Wartelle.
« Dérouler sa pensée pour l’exposer est vraiment une question insoluble. Aucun point ne peut constituer un point de départ. » Aurélien Deschamps dans le film Quelle folie.
Quelle folie[1], premier long métrage de Diego Governatori, nous offre le témoignage inouï d’un lien inédit avec le comédien et réalisateur Aurélien Deschamps, diagnostiqué « autiste de haut niveau » aux prémices du projet du film. Leur amitié dure depuis vingt ans. L’association ACID POP[2] a proposé, pour sa première soirée de l’année à Amiens, une rencontre avec le réalisateur autour du thème Si la parole résiste, doit-on la provoquer ? Je te filme, je t’affronte[3].
À travers ce film joyeux et bouleversant, Diego Governatori veut « rendre compte d’un réel », quelque chose qui résiste, échappe dans le lien à l’Autre. La conception de ce film avec Aurélien, qui a duré cinq ans, s’appuie à la fois sur une séquence marquante du film de Didier Nion, 17 ans, le faisant passer de la fiction au documentaire, vers « la friction », et sur le sentiment d’inexistence dont lui parle son ami lorsqu’il lui adresse : « Diego, je ne sais pas si j’existe. » Il en accuse réception en s’interrogeant sur le contraste entre la parole d’Aurélien, qui ne cesse pas, sa présence intense, étouffante, débordante, et cette illégitimité insistante dont parle Aurélien, non seulement de sa parole mais de son être au monde. Leur lien d’amitié fraternelle le met en proximité avec ce qui lui est à la fois le plus intime et le plus étranger. Diego Governatori ne recule pas devant cette complexité qui l’attire et le repousse, taraudé par la question Qui est l’autre ? Il affronte aussi son Qui suis-je ?
Au-delà de la question de l’autisme, c’est l’énigme de l’humain, du lien à l’autre, saisie à travers cette production quasi vitale pour l’un comme pour l’autre, pour faire face à ce qui les submerge. En effet, nous dit-il, « incarner un lien d’altérité c’est si puissant et si peu interrogé, ou de façon affectée, névrotique ». Ce film est l’objet qui à la fois les noue et les sépare, « objet transitionnel » et objet qui borde la parole, le bruissement de la langue auquel a affaire Aurélien, dont il parle si justement et que Diego a traduit en images signifiantes et percutantes.
Quelle folie, c’est l’expression qui scande le flux de pensées et de paroles qui traverse Aurélien, éclairant pour nous la formule de Lacan qu’il cite et reprend à son compte de cette manière : « les autistes se comprennent eux-mêmes »[4]. Pourtant, quelque chose est passé, nous traverse, nous confrontant à cette radicale solitude, témoignant que le lien à l’Autre est à chaque fois à inventer, à créer de manière singulière.
Diego Governatori conclut par cette trouvaille : « Aurélien, lien au réel. » Nul doute que cette œuvre nous ouvre une porte singulière vers la deuxième Journée du CERA Autisme et lien social qui aura lieu le 16 mai prochain à Paris.
[1]. Quelle folie de Diego Governatori, est sorti en salle le 9 octobre 2019. Il a été primé par le Jury jeune du prix Mitrani et au festival de Lussas.
[2]. Association pour le Cinéma Indépendant pour sa Diffusion – Université Populaire.
[3]. Projection-débat avec le réalisateur au cinéma Orson Welles le lundi 13 Janvier 2020.
[4]. Lacan J., « Conférence à Genève sur le symptôme » [1975], La Cause Du Désir n° 95, janvier 2017, p.17.