Par Isabelle Orrado.
Astéréotypie est un groupe de rock composé de quatre chanteurs : Yohann, Stanislas, Aurélien et Kévin. Ces quatre jeunes aujourd’hui âgés d’une vingtaine d’année sont autistes. Ils se sont rencontrés dans un Institut médico-éducatif, lieu où cette aventure musicale a débuté.
Dans le cadre de leur accompagnement thérapeutique, ils participent à un atelier d’écriture. Au micro de France 3, Christophe L’huillier, un des éducateurs responsables de cet atelier, explique les enjeux de sa proposition : « On voulait leur montrer les codes de la poésie et on s’est rendu compte que ça n’avait pas franchement d’intérêt. Ils ont tout de suite sorti des trucs qui étaient beaucoup plus intéressants, plus pertinents, qui sortaient complétement de nos zones de confort. »[1] Il décide alors d’amener sa guitare et de permettre aux participants de transformer leurs écrits en chansons. Autrement dit leurs mots en paroles. C’est en suivant pas à pas ces jeunes que l’idée d’un groupe a émergé.
Groupe n’est d’ailleurs pas le bon terme. Ils préfèrent, à juste titre, parler de collectif. Astéréotypie est en effet constitué d’individualités qui ne s’additionnent pas mais coexistent. Yohan par exemple connait tout le réseau RATP d’Île-de-France. C’est son affinité pourrions-nous dire. Les « guides bus » sont ses livres de chevet[2]. Il est l’auteur de la chanson air TGV:
« Plus de quatre millions de voyageurs, trois cents stations de métro.
La RATP adopte la bus attitude, elle a pris de l’amplitude.
Pour sortir de ce trou la RATP et la SNCF sont présentes partout.
[…]
On peut visiter Paris à la carte. L’agglomération, le numéro du wagon, ça me fait parler.
[…]
Pas de guide pour le métro et le RER, tout est dans le plan.
Je cours après les bus parce que je veux découvrir Paris.
Il faut que je sache. Je veux tous les guides.
Avec ça, je me sens limpide. »
Yohann, Stanislas, Kévin et même Aurélien, qui ne parle qu’en de très rares occasions car il n’aime pas ça, font ainsi entendre leur voix. Chacun à leur façon, ils prennent le micro pour dire des choses. Ils parlent de l’importance des stéréotypies pour eux : « Quand je suis en difficulté, j’aime remuer les objets. » Ils évoquent aussi leurs incompréhensions : « Être autiste ce n’est pas être handicapé, c’est une formalité », ou encore leurs angoisses : « J’ai peur que mes yeux soient très fragiles et qu’à n’importe quel moment je devienne aveugle. J’ai peur que mes oreilles soient très fragiles et que je devienne sourd à n’importe quel moment. » Leur rapport au corps, aux autres, au monde, au langage fait l’objet de leurs chansons.
Leur premier album Astéréotypie est sorti en septembre 2012, le second L’Énergie positive des Dieux en mars 2018. Sur une musique rock, ils déclament leur texte dans un style spoken word. Le spoken word, littéralement traduit par « mot parlé », est une oralisation particulière des mots, s’appuyant sur la dynamique et la tonalité de la voix. Le slam est l’exemple paradigmatique de ce courant qui mêle musique et paroles en réduisant au maximum le voile mélodique du chant. Via le micro et accompagné de musicien, Yohann, Stanislas, Aurélien et Kévin ont ainsi trouvé une façon d’user de la voix pour se faire entendre. Dans cette énonciation rythmique, leurs paroles se font brutes et directes.
De nombreux journalistes notent le cri émis par ce collectif au travers de leurs chansons. L’une d’elle, La soufflante, traite justement de cette dimension du cri présent dans la voix : « Quand elle [Maude] crie, c’est comme une soufflante de feu. Elle s’arrête et finalement après on est au chaud […] J’ai peur qu’on me crie dessus […] Quand on me crie dessus je me sens isolé. » C’est pour cela que « Yohan demande de stopper la soufflante et de la remplacer par la voix. » Nous pouvons entendre ici que la soufflante est une magnifique façon de parler de la voix en tant qu’objet pulsionnel, telle que Lacan l’a développé. L’objet voix n’est pas la musicalité qui accompagne le langage, elle est son noyau obscène, aphone. Elle est « tout ce qui du signifiant ne concourt pas à l’effet de signification »[3], elle est une soufflante. Face à ce réel de la voix, plus qu’une seule solution, savoir jouer avec le vent comme Yohan.
« Maude est une soufflante, mais Yohann est un venteux »
[1]. « Astéréotypie, un groupe de rockeurs pas comme les autres », Soir/3 National, France 3, le 28 juillet 2018, vidéo disponible sur francetvinfo.fr en cliquant ici
[2] « Les peintres du temps », L’atelier de la création 14-15, France culture, le 1er octobre 2014, vidéo disponible sur franceculture.fr
[3]. Miller J.-A., « Jacques Lacan et la voix » (1989) in Lew R. & Sauvagnat F. (s/dir.), La Voix, Paris, La Lysimaque, p. 180.