Par Fabienne Loiseau.
Depuis fin 2018, les pouvoirs publics ont pris plusieurs mesures afin d’accélérer et de faciliter le diagnostic et la prise en charge des enfants atteints d’autisme et autres « troubles du neuro-développement ». Ces mesures, qui pourraient être accueillies comme une avancée pour les parents et enfants concernés, apparaissent clairement comme étant l’occasion de contrôler les professionnels qui seront désignés pour le parcours de l’enfant et de leur imposer les méthodes d’intervention et d’accompagnement exclusivement dans le champ comportemental et cognitiviste, restreignant de fait drastiquement le choix et la diversité des accompagnements.
Le décret n°2018-1297 du 28 décembre 2018 a en effet modifié le code de la santé publique, permettant la prise en charge par l’assurance maladie d’un parcours de bilan et intervention précoce pour les enfants atteints de troubles du neuro-développement, y compris les séances chez un psychologue,et créant des structures dédiées à cet accompagnement sous la forme de plateformes de coordination et d’orientation.
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L’arsenal réglementaire
Selon l’article L. 2135-1 du code de la santé publique : « Pour l’accompagnement des enfants présentant un trouble du neuro-développement et pour la réalisation d’un diagnostic, un parcours de bilan et intervention précoce est pris en charge par l’assurance maladie. Le parcours est organisé par des structures désignées par arrêté du directeur général de l’agence régionale de santé (…). Les professionnels de santé (…) et les psychologues peuvent conclure avec les structures désignées au deuxième alinéa du présent article un contrat, conforme au contrat type défini par arrêté des ministres chargés de la santé, de la sécurité sociale et du handicap. Ce contrat prévoit notamment, pour chaque catégorie de professionnels, des engagements de bonnes pratiques professionnelles et les conditions de retour d’information à la structure désignée et au médecin traitant. Pour les professionnels mentionnés aux articles L. 4331-1 et L. 4332-1 et les psychologues, le contrat prévoit également les modalités selon lesquelles la structure désignée rémunère les prestations réalisées dans le cadre du parcours. La prise en charge du parcours est soumise à prescription médicale. »
L’article R.2135-2 précise comment les professionnels libéraux et notamment les psychologues pourront intervenir dans ce parcours, après avoir conclu un contrat avec une des structures désignées : « Pour les psychologues : d’une part une évaluation qualitative et quantitative des compétences développementales de l’enfant et, si nécessaire, des tests neuropsychologiques complémentaires ciblant des secteurs spécifiques du développement cognitif et socio-communicationnel, d’autre part, pour les psychologues qui détiennent une expertise spécifique définie par arrêté des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale, des interventions précoces en lien avec l’ensemble des évaluations fonctionnelles disponibles. »
Un arrêté du 16 avril 2019 détaille le contrat-type qui devra être signé entre les professionnels libéraux dont les psychologues, et la structure choisie par l’ARS qui animera la plateforme. Il définit le cadre d’intervention des prestations qui sont délivrées dans le cadre de la prescription médicale validée par un médecin de la plateforme.
Cet arrêté décrit les modalités d’exercice du professionnel libéral de la manière suivante : « Le professionnel libéral s’engage à respecter les recommandations de bonnes pratiques établies par la Haute Autorité de santé (HAS) (cf. annexe n° 1) ainsi que les principes généraux exposés au L. 1111-2 du code de la santé publique. Il s’engage également à l’utilisation des outils recommandés par la HAS ou validés scientifiquement et étalonnés. Une liste non exhaustive est, à titre indicatif, établie en annexe n° 2 de ce contrat. Cette liste sera amenée à être réactualisée périodiquement en fonction de l’évolution des recommandations et des outils et plus généralement de l’évolution des connaissances scientifiques. »
En annexe 1 du texte, figure une liste des publications des recommandations de bonnes pratiques dans le champ des troubles du neuro-développement de la HAS, ANESM, INSERM et ANAES, puis en annexe 2 une liste indicative d’outils définie comme suit : « Liste indicative et non exhaustive d’outils d’évaluations pouvant être utilisés pour l’évaluation qualitative et quantitative des compétences développementale de l’enfant et, si nécessaire, des tests neuropsychologiques complémentaires ciblant des secteurs spécifiques du développement cognitif et socio-communicationnel de l’enfant de 0 à 6 ans révolus. »
S’ensuit une nouvelle (longue) liste où n’apparaissent que des méthodes cognitivo-comportementales. En toute fin, il est précisé que : « La liste des outils a été établie à titre indicatif par des représentants des professionnels concernés. » Il est également annexé à cet arrêté une « structure rédactionnelle du compte-rendu de l’évaluation et des tests complémentaires ». Tout le travail du psychologue est donc balisé de manière très précise et contrôlée du début à la fin de la prise en charge.
Enfin, l’arrêté du 10 mars 2021 est le dernier texte qui complète l’arsenal réglementaire de cette plateforme d’orientation et de coordination. Ildéfinit l’expertise spécifique des psychologues mentionnée à l’article R. 2135-2 du code de la santé publique, et obligatoire pour la réalisation des interventions précoces auprès des enfants (après le premier diagnostic) : « Les interventions et programmes des psychologues respectent les recommandations de bonnes pratiques professionnelles établies par la haute autorité de santé (HAS) propres à chaque trouble du neuro-développement, et s’appuient sur des programmes conformes à l’état actualisé des connaissances.
Des méthodes imposées et contrôlées
En référence au stade de développement de l’enfant, ces interventions structurées visent à mobiliser les compétences cognitives, comportementales et émotionnelles de l’enfant. Les approches recommandées tendent à soutenir le développement de l’enfant dans plusieurs domaines, en priorité ceux des interactions sociales, des émotions, des comportements adaptatifs, de la communication et du langage. Elles s’appuient sur des thérapies cognitivo-comportementales, de la remédiation neuropsychologique et cognitive et de la psychoéducation. Une liste non exhaustive de programmes se référant à ces approches est établie en annexe. Cette liste sera réactualisée périodiquement en fonction de l’évolution des connaissances scientifiques, des recommandations et des outils. »
Il est intéressant de constater qu’après avoir exigé de respecter les recommandations de la HAS et listé les outils de bonnes pratiques préconisés pour l’évaluation et l’intervention après de enfants concernés, le Ministre précise dans l’annexe de l’arrêté récent du 10 mars 2021 que « le psychologue est responsable du choix de ses outils », tout en ajoutant immédiatement après que « la connaissance et maîtrise d’une partie d’entre eux permet d’attester de la compétence attendue et de la capacité à développer un programme d’intervention ».
Ce qui signifie clairement que le psychologue a le choix de ses outils uniquement parmi ceux présents dans l’annexe de cet arrêté, à savoir, entre autres, ABA, DENVER, PRT, PACT, TED, TEACCH, TCC etc…
Si des psychologues désireux de participer à cette intervention précoce n’ont pas les compétences requises, qu’à cela ne tienne, ils pourront bénéficier d’une formation spécifique proposée par la plateforme et contractualisée dans le contrat-type.
En somme, il est proposé pour le diagnostic et l’intervention précoce auprès des enfants autistes, un monde clos, qui s’auto-alimente et s’auto-forme, à l’intérieur duquel sont exclues toutes approches cliniques de la parole.
De fait, en proposant aux parents une prise en charge par l’assurance maladie de toutes leurs prestations par la plateforme de coordination et d’orientation, le ministère va pouvoir contrôler et imposer ses méthodes aux professionnels choisis par les ARS, et aux parents. Arriver à ce degré de contrôle et de formatage interroge sur la nature démocratique de cette réglementation. Elle s’inscrit en tout cas parfaitement dans le constat alarmant de la fragilisation de l’Etat de droit, où des actes réglementaires sont pris au mépris de la loi et des libertés et droits fondamentaux consacrés par notre Constitution, la justice apparaissant alors comme le dernier rempart à cette forme d’autoritarisme, empreint de lobbysme.
3 problèmes de légalité
Ces textes récents posent en effet de sérieux problèmes de légalité. Le premier problème de légalité porte sur la nature juridique des obligations inscrites dans cette réglementation. Un arrêté est à visée impérative et créateur de droits. Mais tel n’est pas le cas de simples recommandations sans portée juridique obligatoire, type recommandations de la HAS, qui ne sont pas créatrices de droits.
Or, les arrêtés de 2019 et de 2021 imposent de respecter les recommandations HAS (qui n’ont pas de portée obligatoire), ce qui ne manquera pas d’interroger le juge administratif, s’il est saisi, sur cet objet juridique non identifié : un acte créateur de droits qui contraint à respecter un acte non créateur de droits.
Il est utile de citer une jurisprudence toute récente du Conseil d’Etat dans un arrêt du 23 décembre 2020 n°428284, où le juge administratif définit justement la portée de ces recommandations HAS : « Les recommandations de bonnes pratiques élaborées par la Haute Autorité de santé sur la base des dispositions citées au point 1 ont pour objet de guider les professionnels de santé dans la définition et la mise en œuvre des stratégies de soins à visée préventive, diagnostique ou thérapeutique les plus appropriées, sur la base des connaissances médicales avérées à la date de leur édiction. Elles participent, à ce titre, à la réunion et à la mise à disposition de ces professionnels des données acquises de la science, y compris au niveau international, sur lesquelles doivent être fondés les soins qu’ils assurent aux patients, conformément à l’obligation déontologique qui leur incombe en vertu des dispositions du code de la santé publique qui leur sont applicables. Elles ne dispensent pas le professionnel de santé d’entretenir et perfectionner ses connaissances par d’autres moyens et de rechercher, pour chaque patient, la prise en charge qui lui paraît la plus appropriée, en fonction de ses propres constatations et des préférences du patient. »
Il apparait donc que les professionnels de santé ainsi que les professionnels intervenants dans l’accompagnement des enfants autistes, dont les psychologues, peuvent s’extraire des recommandations HAS s’ils démontrent que la prise en charge est la plus appropriée au patient et que ce dernier souhaitait une approche différente.
C’est en substance exactement ce qui a été affirmé par la Cour de Cassation s’agissant de méthodes utilisées pour l’accompagnement d’un enfant autiste ne faisant pas partie des recommandations HAS et dont la MDPH refusait la prise en charge des prestations aux parents, mais que le juge judicaire a sanctionné, considérant que l’intérêt de l’enfant était préservé (CF. Cour de Cassation, 8 novembre 2018, n° 17-19556). Il y a donc moyen de sortir des recommandations HAS à la condition d’avoir l’aval des parents et de démontrer que cet accompagnement va dans l’intérêt de l’enfant.
Le deuxième problème de légalité concerne le respect de la loi par ces actes réglementaires. Or, la loi, selon les articles L.246-1 et L. 146-9 du Code de l’Action Sociale et des Familles (CASF), implique une prise en charge pluridisciplinaire qui tient compte des besoins et difficultés spécifiques de la personne atteinte du handicap résultant du syndrome autistique, et des souhaits exprimés par la personne handicapée ou son représentant légal. Conditionner un remboursement des soins à des méthodes imposées par l’autorité publique est donc contraire aux articles du CASF.
Le troisième point d’illégalité pourrait être recherché dans le code de déontologie des psychologues. Cependant ce code n’a pas de valeur réglementaire et de portée juridique directe. Mais il existe une jurisprudence où les juges se sont basés sur plusieurs articles de ce Code de déontologie pour motiver leurs décisions et retenir ou écarter la responsabilité du professionnel.
Le Principe 3 du code de déontologie des psychologuesintitulé Responsabilité et autonomie, précise :« Outre ses responsabilités civiles et pénales, le psychologue a une responsabilité professionnelle. Dans le cadre de sa compétence professionnelle, le psychologue décide et répond personnellement du choix et de l’application des méthodes et techniques qu’il conçoit et met en œuvre et des avis qu’il formule. »
Nul doute que la nouvelle réglementation concernant le diagnostic et le suivi précoce des enfants autistes est contraire à ce principe d’autonomie du choix des méthodes par les psychologues.
Agir contre la mise au pas
La légalité des arrêtés pourrait aussi être interrogée sur le principe d’égalité. Il y a en effet rupture d’égalité de traitement entre les psychologues qui pourront voir leurs prestations prises en charge par l’assurance maladie, se conformant aux méthodes exigées, et ceux qui ne le pourront pas. Et ce d’autant qu’actuellement les psychologues de manière générale ne sont pas remboursés par l’assurance maladie. De la même manière, les familles participant aux plateformes de coordination et d’orientation vont pouvoir être remboursées, et les autres pas.
Il apparait donc légitime de saisir la justice. L’arrêté du 10 mars 2021 peut faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d’Etat, et ce dans les deux mois de sa publication au JO en date du 4 avril 2021. Seules les personnes ayant un intérêt à agir, comme les syndicats ou associations professionnelles des psychologues, associations des parents d’enfants autistes… peuvent en être à l’origine. Il semble qu’une association de psychologues ait déjà franchi le pas.
Cette nouvelle réglementation qui vient d’être décrite resserre de manière drastique, en conditionnant leur prise en charge par l’assurance maladie, les possibilités de définir un accompagnement singulier des enfants autistes, en dehors des méthodes comportementalistes. Ce faisant, elle applique les politiques publiques, saturées des lobbys comportementalistes, qui visent à normaliser toute différence d’être, qui doit être rééduquée avec des méthodes résumant les enfants autistes à leurs cerveaux, et à confisquer toute pratique de la parole.
Cette nouvelle réglementation est clairement dirigée contre la psychiatrie et la psychanalyse en tentant de « mettre au pas » les psychologues au diapason des recettes et des remèdes miracles, qui permettront de communiquer des résultats spectaculaires en brandissant des statistiques basées sur des évaluations vides de sens.