Des psychologues soumis à une accréditation

Par Romain Aubé.

Derrière l’Arrêté du 10 mars 2021 se cache l’instrumentalisation des enfants autistes et relevant des TND à des fins de bannissement de l’orientation analytique dans la pratique des psychologues.

De l’union du ministère de la santé avec celui des finances est né l’« Arrêté relatif à la définition de l’expertise spécifique des psychologues ». Ce texte de loi est une attaque contre la liberté d’exercice des psychologues, à leur autonomie et à la responsabilité de leur orientation. D’emblée, la difficulté à qualifier le génitif – objectif ou subjectif – du syntagme « l’expertise spécifique des psychologues » pose la question de savoir qui est expertisé. Est-ce l’expertise produite par les psychologues ou celle effectuée sur cette profession ? Le texte laisse planer le doute.

Car si l’enjeu affiché est celui du diagnostic et du traitement des troubles neuro-développementaux, dits TND, l’envers se dévoile être la quête, sous couvert d’un souci de santé publique, d’une garantie de la formation du psychologue clinicien. Ce qui fait que la visée finale de cet arrêté se dévoile être celle d’une uniformisation des pratiques. L’arrêté se donne effectivement la peine, dans une annexe presque aussi conséquente que le texte même, de lister les outils du psychologue à employer pour diagnostiquer les TND, ainsi que les méthodes de traitement. L’orientation psychanalytique n’y apparait pas, seules sont listées les orientations cognitivo-comportementales et neuroscientifiques.

Dès lors, l’arrêté légifère des pratiques, autorisant certaines orientations au détriment d’autres. Cela se situe dans la poursuite d’un rapport de l’IGAS [1] qui estime que les psychologues cliniciens sont « mal définis », que leurs formations « sont très diversifiées » et qu’il faudrait les « homogénéiser [2] ». Or, cette uniformisation, actée sans le dire par cet arrêté, se fait en fondant la profession dans l’orientation cognitiviste et neuroscientifique, excluant et la parole et la psychanalyse.

Pour ce faire, une évaluation est nécessaire. Il n’est cependant pas possible d’évaluer frontalement la profession sans susciter un vent de suspicion, cela se fait donc par contrat – l’arrêté prévoyant que ce soit la structure (plateforme de coordination et d’orientation) avec laquelle le professionnel contractualise qui effectue l’évaluation. Dans le cas où le contractant serait évalué pas à jour, un stage de remise à niveau est prévu. Nous retrouvons là ce que Jacques-Alain Miller avait repéré au moment de l’amendement Accoyer : il s’agit d’obtenir le consentement du psychologue à être évalué. « On n’évalue, disait-il, que celui qui demande, et celui qui demande est déjà comme évalué et accrédité [3] » – ce qui est précisément la manœuvre de cet arrêté.

En 1958, dans sa conférence « Qu’est-ce que la psychologie ? », Canguilhem indiquait la position d’instrument du psychologue et du travers qu’il aurait à se faire celui de la norme, d’une idéologie. Le philosophe apostrophait son auditoire : « qui désigne les psychologues comme instruments de l’instrumentalisme ? À quoi reconnaît-on ceux des hommes qui sont dignes d’assigner à l’homme-instrument son rôle et sa fonction ? Qui oriente les orientateurs ? [4] » Alors que l’orientation psychanalytique a œuvré, et continue de le faire, à subvertir l’instrumentalisation du psychologue pour qu’il soit au service du sujet et non de la norme, en 2021, cet arrêté réduit les psychologues à des instruments au service d’une idéologie unique qui n’autorise que les orientations cognitivistes, privant ainsi les patients et leur famille du choix d’une écoute autre.


[1]. IGAS : Inspection Générale des Affaires Sociales.

[2]. Emmanuelli J. & Schechter F., Prise en charge cordonnée des troubles psychiques : état des lieux et conditions d’évolution, rapport de l’IGAS, octobre 2019, disponible sur le site de l’IGAS.

[3]. Miller J.-A., in Miller J.-A. & Milner J.-C., Voulez-vous être évalué ?, Paris, Grasset & Fasquelle, 2004, p. 55.

[4]. Canguilhem G., « Qu’est-ce que la psychologie ? », Cahiers pour l’analyse, n1-2, février 1966, p. 90.