L’ARSenal d’une ARS

Par Daniel Roy.

ÉVALUATION NATIONALE des hôpitaux de jour
DÉMARCHE PARTICIPATIVE des équipes
DIAGNOSTIC FORMALISÉ avec échelles
ÉVALUATION DU FONCTIONNEMENT de l’enfant avec TSA
PROJET PERSONNALISÉ D’INTERVENTIONS
CO-ÉLABORATION avec les parents
FORMATION aux outils de communication
OBJECTIFS ÉCRITS pour un document à valeur contractuelle
TRAÇABILITÉ des traitements médicamenteux

Un courrier adressé fin décembre 2016 aux hôpitaux de jour de la région Île-de-France par l’ARS de cette région prévient ceux-ci d’une visite avant le 15 janvier 2017 d’un « correspondant de l’ARS », qui sera l’occasion de remplir avec lui une « grille d’évaluation » jointe à ce courrier.
À ces documents a été joint par erreur un autre document nommé « Consignes de remplissage du questionnaire » qui ne s’adresse pas aux équipes soignantes (mot difficile à écrire pour les rédacteurs) mais aux fonctionnaires ARS qui seront « correspondants ». Grâce à ces consignes, nous avons un aperçu des préjugés qui règnent au sein de cette administration à l’égard des équipes, qui sont supposées tout ignorer quand on parle de TSA, TED, co-élaboration, évaluation, recommandations, fonctionnement.

triangulisesOn notera dès les premières lignes une note d’humour involontaire : « L’auto-évaluation est basée sur l’analyse d’une coupe transversale des enfants avec TSA présents un jour donné fixé le 8 décembre 2016 » (souligné dans le texte). Le 8 décembre… le jour-même où le député Fasquelle présentait au vote de l’Assemblée nationale un projet de résolution pour « interdire la psychanalyse dans la prise en charge de l’autisme » Quelle délicatesse de la part de l’ARS de pratiquer une coupe transversale des enfants dits autistes ce même jour ! Quels jours choisir pour les coupes sagittales et horizontales des enfants ? Elles s’imposent pourtant pour obtenir enfin des données scientifiques evidence-based sur la question !
Il faut ici citer l’intégralité d’un passage de la page 7 du document « Consignes… », qui donne en quelques mots bien sentis la visée du projet : « Est-ce que l’évaluation (du fonctionnement de l’enfant) est assurée par l’équipe de l’HPJ grâce à des outils et échelles sensés restreindre la subjectivité de l’appréciation et permettre une mesure plus scientifique (ne pas utiliser ce mot, on vous répondra scientiste) de l’évolution ? »
La restriction de la subjectivité des appréciations, voilà un bien noble, et si nécessaire, objectif pour une véritable évaluation…

Disons-le simplement : cette auto-évaluation est inséparable de ces consignes hétéro-évaluatrices, qui en révèlent le sous-texte.
La démarche est simple et semble tout droit sortie d’une école d’evidence « bon-sens » management, démarche ici appliquée à une pratique professionnelle et à une réalité clinique qui restent totalement hors du champ d’appréhension de rédacteurs qui veulent pourtant les formater.
Allons pas à pas. Au commencement est le diagnostic, formalisé avec outils et échelles validés, puis vient l’évaluation du « fonctionnement de la personne » assurée par « des échelles et outils recommandés et/ou validés scientifiquement » et « renouvelée chaque année ». Cette évaluation permettra, dans le meilleur des cas, « de définir et/ou d’actualiser le projet personnalisé de prise en charge », dont  « les parents sont destinataires ». Ce projet se transmute alors (par une opération qui n’est pas précisée) en « PPI – projet personnalisé d’interventions qui précise les  actions à mener et les objectifs fonctionnels à atteindre ».

À ce point, il faudra savoir si « la structure utilise, ou non, des moyens de communication particuliers adaptés aux troubles de l’enfant » et si « les équipes ont reçu une formation à ce propos», et enfin quel est « le positionnement de l’HPJ par rapport aux secteurs social et médico-social, et par rapport à l’Éducation nationale ». Comme si les hôpitaux de jour vivaient totalement isolés du monde commun… Passons maintenant au plan de formation, pour des équipes supposées être bien loin de « l’état des connaissances actualisé, des outils et échelles d’évaluation du fonctionnement et du diagnostic, des interventions recommandées, notamment les interventions comportementales et développementales évaluées et citées dans la RBPP 2012, des stratégies et outils de communication alternatifs, de la prévention et gestion des troubles du comportement » !

Maintenant, lisons le sous-texte – grâce aux « Consignes… » : « En cas de mise en question importante de l’esprit ou de la formulation des questions : leur demander de répondre franchement sur la réalité et de faire des observations dans les commentaires, c’est l’occasion de passer un message à l’HAS pour l’actualisation des recommandations (souligné dans le texte) ». Reconnaissons aux rédacteurs une juste appréciation des difficultés inhérentes aux classifications internationales des TSA ou TED, et cela se joue autour de la définition des « troubles associés ». Les classificateurs voulant accompagner la registration de l’autisme comme « handicap » se trouvent conduits à désigner comme  « pathologie associée » les « troubles psychiatriques » tels que « anxiété, hyperactivité, dépression, phobie spécifique, délire ou hallucination, stéréotypies ».  Commentaire : « Posez la question sans insister, sinon vous aurez droit à une conférence » !

En effet, tout ceci est secondaire, car il est bien précisé « qu’au-delà du diagnostic clinique, les questions portent sur l’utilisation des (fameux, ndlr) outils formalisés recommandés pour le diagnostic ». Les choses s’éclaircissent au fur et à mesure : « Ce sont plus les modalités de mise en œuvre de l’évaluation qui sont ici interrogées car cela reflète très bien l’adhésion ou non aux RBP. C’est là que votre appréciation risque de diverger de celle de l’HPJ : au-delà du diagnostic stricto sensu, sans intérêt en fait, voir si le l’évaluation fonctionnelle est faite à l’aide de bilans traditionnels – orthophonie, psychomotricité, psychologique – et faire préciser s’il y a une analyse neuropsychologique par domaine de compétence » (ici les passages en italique sous soulignés par nous).

Il faut s’arrêter quelques instants sur ce qui est désigné par « l’évaluation du fonctionnement de la personne » : il s’agit en effet de l’application de la Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé (CIF) promue par l’OMS pour remplacer, ou plutôt subsumer, la CIM (Classification internationale des maladies). Cette classification repose sur une vision purement fonctionnaliste des êtres parlants, qui permettrait une évaluation universelle fonction par fonction, véritable délire de la bureaucratie sanitaire internationale, au nom d’une égalité de tous face au droit à la santé.
Donnons ici précisément les items qui doivent faire l’objet de « l’évaluation du développement de la personne », selon les critères de l’OMS et de l’ARS : la communication ; le langage perceptif et expressif ; les interactions sociales ; le domaine cognitif ; le domaine sensoriel et moteur ; le domaine de la santé ; le domaine des émotions et du comportement (en particulier les comportements-problèmes) ; l’autonomie dans les actions quotidiennes ; les apprentissages.
Bien sûr chacun de ces items doit faire l’objet d’une évaluation à l’aide des fameux « outils et échelles recommandés et/ou validés scientifiquement », selon le credo des rédacteurs. Là, tout n’est que science et il s’agira de bien faire rentrer cette évidence dans la tête de l’enfant autiste qui risque de ne pas l’entendre de cette oreille. Dis-moi comment tu dysfonctionnes et je te dirai quel genre d’autiste tu es : communicant ? Plutôt perceptif ou expressif ? Et avec tes petits camarades ? Tes neurones, tes sensations, tes émotions, ta santé, vont-ils bien ? Te rends compte que tu poses des problèmes à ton entourage par tes comportements étranges ? Prends ton autonomie et travaille bien à l’école…

Encore une fois, il se vérifie que l’autisme est le terrain d’expérimentation des administrations sanitaires pour insinuer dans les pratiques des professionnels ces théories hautement controversées au sein de ces mêmes administrations. Mentionnons aussi cette mise en garde de l’ARS qui prévient ses « correspondants » : « Attention au jargon professionnel qui rend ces documents sans sens pour les parents ». Comme si une pratique professionnelle n’avait pas son vocable spécialisé ! Plus loin dans les « Consignes… » : « Groupe poupée, ou groupe patouille, derrière ces noms plus ou moins farfelus, quels sont les objectifs clairement mentionnés dans le dossier de l’enfant ? » « Souvent les psy savent bien théoriser là-dessus… »
Enfin, il faut se méfier du « projet thérapeutique » pour lui préférer le « projet personnalisé d’intervention » ou, à défaut un « projet individuel ». Notons au passage qu’il n’est à aucun moment fait état que les HPJ sont sous la responsabilité de médecins psychiatres, pour la plupart pratiquant leur art depuis de nombreuses années et qui donnent l’orientation aux prises en charge des enfants et adolescents accueillis et accompagnés, en lien avec les familles et les intervenants et structures extérieures, entourés de professionnels ayant suivis des études spécialisées.

En conclusion, il est indiqué que la synthèse de ces évaluations des HPJ sera élaborée « après un travail de benchmarking qui permettra de donner une cohérence régionale à l’enquête (c’est donc une enquête) et de dégager ce qui est en commun du particulier ». Et promesse finale : « Chaque établissement intégrera ces orientations au niveau du projet d’établissement et du projet de territoire. »

Citons la définition du benchmarking que donne Wikipedia: « Le benchmarking consistera à trouver, au niveau mondial, l’entreprise ou les entreprises qui réalisent de la manière la plus performante un processus ou une tâche donnée, d’aller l’étudier (« benchmarker ces entreprises ») et d’adapter ensuite ce processus à sa propre entreprise ». Et de préciser : « Cette méthode a notamment été très fortement développée dans l’industrie automobile où il est vital de concevoir au moindre coût des produits répondant aux justes besoins des utilisateurs en appliquant toutes les technologies disponibles sur le marché ».

Professionnels, parents, administration sanitaire : est-ce la perspective que nous souhaitons prendre sur l’accueil et l’accompagnement des sujets autistes ? Il y a ici des choix à faire.