Le Laboratoire niçois du CIEN en collaboration avec le Cinéma de Beaulieu
SOIREE-DEBAT
Projection le 6 février 2017 du film de Julie Bertuccelli « Dernières nouvelles du cosmos »
« UNE SI IMPROBABLE RENCONTRE… »
Elles sont deux : une mère et sa fille, héroïnes que l’on pourrait qualifier d’ordinaires, filmées avec tact et légèreté par Julie Bertuccelli. Dans son dernier long-métrage Dernières nouvelles du Cosmos celle-ci nous convie à entrer dans l’intimité de cette relation, celle d’une expérience de vie partagée.
Deux ans auront été nécessaires à cette réalisatrice pour tenter de saisir le vif de cette relation, y appréhender le lien spécifique unissant ces deux parlêtres, lien vital à certains égards car contrecarrant l’inéluctable d’un fatum.
Plans fixes rapprochés et plans éloignés/distants se succèdent. Ce « documentaire », dans le rythme de la narration, insiste sur les modalités de présence de ce sujet à l’Autre quand, malhabile dans son corps « adolescent », celui-ci est secoué en cascade de rires fugaces et répétés. Mais c’est aussi l’errance qui s’impose au spectateur quand, se déplaçant dans le vaste monde, le sujet avance muni d’une bouée protectrice. À d’autres moments, son regard posé à distance sur des chevaux fascinants semble constituer pour elle un nouveau point d’ancrage, captive en cet instant d’une jouissance silencieuse.
Mais le précieux de l’affaire réside dans les effets incalculables d’un élément contingent qui va venir déranger l’ordre immuable de ce qui, compte-tenu d’un diagnostic d’« autisme très déficitaire » posé dès l’enfance, s’inscrivait comme destin.
En effet, suite à l’échec des traitements institutionnels proposés à sa fille, cette mère, interrompant son activité professionnelle, décide de « s’occuper à plein-temps » de celle-ci. Et par le hasard d’un jeu dont les éléments ont été dispersés et recomposés immédiatement par Hélène, sa fille, elle découvre que cette dernière « savait lire » sans avoir « appris ».
Cette mère va alors bricoler un alphabet artisanal fabriqué avec de petits cartons plastifiés mis à disposition. Sa fille va s’en emparer pour composer des mots et des phrases. Et cette « écriture » transcrite et répertoriée par la mère sera dans un temps second validée par l’Autre comme écrit poétique, métaphysique, philosophique.
Si Hélène est le prénom légué par ses parents, Babouillec, « arrangement de mon surnom Gabouille », sera celui qu’artiste elle va s’attribuer comme auteure, « signant » ainsi son travail d’écriture adressé. Celui-ci fera l’objet de publications.
Ainsi, arrachée au statut palea qu’elle semblait incarner, Hélène/Babouillec, par la grâce d’une co-invention où sa mère a su occuper une fonction de « traductrice » de son travail, a pu subvertir sa place prise dans l’Autre en faisant briller, par l’intérêt suscité, l’agalma voilé jusqu’alors.
Or, c’est bien à cette trouvaille que le film/documentaire de Julie Bertuccelli nous introduit. À l’issue d’une représentation théâtrale sur un des textes de Babouillec a germé chez la cinéaste le projet d’un long-métrage. Nourri de sa rencontre avec cette mère et sa fille, ce projet s’est imposé à elle « subjuguée par cette jeune femme, son mystère, sa manière particulière de communiquer ».
Mais, en amont de cette rencontre déterminante pour la réalisatrice, il y a eu « l’éblouissement » d’un metteur en scène – Pierre Meunier – pour les qualités d’ « écriture » poétique de Babouillec.
Le recueil de phrases intitulé par elle Algorithme épononyme[1] a donné lieu à une adaptation théâtrale, réalisée par ce metteur en scène et présentée au Festival d’Avignon en 2015. Ce mois-ci, le Théâtre de la Ville à Paris présente en une nouvelle pièce son travail inventif d’écriture.
Par ailleurs, pour approcher la représentation que se fait ce sujet du monde dans lequel elle « est arrivée dans ce jeu de quilles comme un boulet de canon », il suffit de se laisser porter par ses écrits « surréalistes », poétiques et subversifs de l’ordre naturel des choses, « écrits » d’une grande lucidité.
Lisons-la concernant sa place dans ce monde : « Je demande pardon aux idéalistes bâtisseurs de la reluisance du monde de me présenter comme une tâche sombre défiant le réglage de la mécanique » ou encore, ironique sur la question de l’Être : « Être ou ne pas être, là est la question, dire ‘Merde ! ’ à ceux qui croient savoir, là est la réponse ».
Et si Babouillec ne parle pas : « Je suis Babouillec très déclarée sans paroles », elle n’est pas sans le personnage central de sa vie, sa mère.
De ce lien, elle « écrit » comme curriculum vitae dans « À vos étoiles » : « Je suis née un jour de neige, d’une mère qui se marre tout le temps. Je me suis dit : ‘ça caille ! mais ça a l’air cool la vie !’ Et j’ai enchaîné les galères ».
Le mot de la fin reviendra à la réalisatrice de ce film en forme d’hommage : « Il y a deux personnages centraux dans ce film, Hélène et sa mère. Si on pleure, c’est de bonheur, celui de découvrir autrement l’autisme ».
Alain COURBIS
[1] Babouillec, Algorithme éponyme et autres textes, Rivages, 2016.
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