Quand le cinéma soutient l’inventivité des autistes

Par Myriam Chérel Perrin.

À l’occasion de la journée internationale de l’autisme le 2 avril prochain, sort en France, dans le cadre de Rencontre-cinéma[1], le film-documentaire Life, Animated (Une vie animée) du réalisateur Roger Ross Williams, adapté d’après le best-seller du même nom de Ron Suskind, qui vient de paraître en français aux éditions Saint-Simon. Un certain nombre de médias français se sont fait relais de l’Affinity therapy expliquée par Ron Suskind[2] lui-même début février, et plus précisément l’histoire de son fils Owen, atteint d’autisme, qui a réussi à sortir de son isolement, parler et communiquer avec son entourage grâce aux films d’animation Disney.

Mais surtout, c’est la toute récente nomination aux Oscars du film de R. R. Williams qui donne écho à l’Affinity therapy, aussi bien dans les grands médias internationaux que dans les médias locaux, en tout cas ceux bretons, par chauvinisme il faut bien le dire : en effet, l’apparition du logo de l’Université de Rennes 2 lors de la cérémonie des Oscars, au moment de la présentation des nommés dans la catégorie documentaire, a beaucoup fait parler les journaux régionaux, radios et télé locales, et a tourné en boucle sur les réseaux sociaux pendant trois jours. Pourquoi donc ? Roger Ross Williams était venu filmer la première intervention publique d’Owen Suskind que nous avions invité au Colloque Affinity therapy, nouvelle recherche sur l’autisme[3] à Rennes. Voilà pour l’anecdote, mais au-delà, quel intérêt pour l’abord clinique de l’autisme ?

R. R. Williams filme avec un parti pris, celui de montrer, de manière très esthétique, l’intérêt majeur de soutenir ce que certains appellent encore les « lubies » des autistes. Il filme Owen, passionné des films Disney, et l’œil de la caméra capte magistralement combien ce branchement libidinalise son corps et l’ouvre au monde. Le réalisateur relate par un fin montage, comment Owen passe d’une fixation exclusive sur les films d’animation à ce qui deviendra une insertion professionnelle. R. R. Wiliams prouve par le contraire que les lubies, les obsessions, les passions n’isolent pas, ne renferment pas, ni ne favorisent l’autisme, qu’elles ne sont pas passagères mais au contraire font partie intégrante de la personnalité et sont une clé pour l’entourage afin de (re)nouer un lien, un dialogue vers une ouverture au monde.

En effet, par un style cinématographique original – flashback avec des vidéos familiales et création de films animés où Owen est cette fois le héros de l’histoire – le documentaire montre qu’à trois ans un enfant disparaît à lui-même. Est alors diagnostiqué un autisme régressif. Seul le cinéma, les films Disney, l’animent. Ses parents, choqués par ce qui leur semble être comme un « kidnapping », décideront, contre l’avis des experts, de soutenir sans relâche son affinité. Le film déplie magistralement un positionnement éthique : « aimer sa passion, c’est aimer qui il est », phrase de Cornélia rapportée par Ron Suskind dans le documentaire. « Passeurs entre deux mondes » comme ils se disent eux-mêmes, ils se transforment en personnages de Disney pour créer le lien là où il fut rompu. Le film montre incroyablement le soutien quotidien, de sa petite enfance à nos jours, que sont le recours aux scripts des films Disney et le positionnement de sa famille face à ce fonctionnement spécifique, puisque c’est ainsi qu’Owen apparaît vivant, heureux même, apprend seul à lire, et pourra prendre la parole. Si au départ, il respecte les scripts à la lettre, petit à petit il en use pour dire quelque chose à l’autre, et enfin transforme sa fixation en carrière professionnelle, comme disait Léo Kanner dès 1943. L’ouverture au monde et son inscription dans le lien social sont manifestes ; aujourd’hui il travaille dans un cinéma, s’adonne aux dessins et à l’écriture de son propre script.

Parmi les nombreux points de réflexion et d’enseignement auxquels nous ouvre ce documentaire, deux sont nettement à promouvoir pour l’abord clinique de l’autisme : le premier c’est la nécessité d’un refuge. Le réalisateur a su capter le plus profond respect de la famille Suskind pour les moments de retrait, nécessaires, pour ne pas dire vitaux, à Owen. Être attentif à garantir à l’autiste un endroit calme, où se réfugier dans les cas de situations pénibles, et un lieu refuge où avoir recours à sa passion, est un des enseignements pour qui s’occupe des autistes. En institution, ce refuge est souvent constitué par la chambre du sujet autiste, à la condition qu’elle soit un univers de garanties. S’il n’y a pas d’internat, mettre en place les conditions nécessaires pour lui trouver un abri, un espace ou mettre à disposition des matériaux permettant au sujet de se constituer un lieu sécurisant devrait être une priorité.

Un autre point : une scène du film, avec le frère d’Owen, Walt, relate le désir de ce dernier de voir son frère autiste avoir une relation amoureuse « normale » avec celle qui partage de nombreux moments quotidiens de sa vie, qu’il aime et avec qui il se règle à la lumière des histoires d’amour des films Disney. Ce pousse-à-la-normalité, à l’occasion d’un baiser, aura des conséquences dramatiques pour Owen… la rupture. S’il est incroyable qu’Owen puisse dire sa détresse, témoigne de son angoisse, de son incompréhension, le documentaire montre surtout qu’il lui faudra de nouveaux codes pour appréhender ce qui lui arrive. C’est ce qu’il obtient auprès d’une thérapeute qui traduit pour lui et il s’en saisit. Les autistes sont en effet en quête de règles absolues, qui apaisent l’angoisse et leur permette de s’orienter. Mais surtout, dès que l’on cède sur un appui à partir de leurs trouvailles au nom de la normalité, le retour est sans appel…

Bon film !

[1] À Rennes le 9 avril à 18h, organisée par l’ACF-VLB en partenariat avec le Ciné-TNB – À Bordeaux le 2 mai à 20h, organisée par l’ACF-Aquitania en partenariat avec l’Utopia.
[2] Suskind, Ron, Une vie animée, le destin inouï d’un enfant autiste, Éditions Saint-Simon, janv. 2017.
[3] Perrin, Myriam (dir.), Affinity therapy, nouvelles recherches sur l’autisme, PUR, nov. 2015.