« Faire taire le vacarme de la langue »[1], lettre par lettre.

Par François Bony.

« Je suis Babouillec très déclarée sans parole. Seule enfermée dans l’alcôve systémique, nourricière souterraine de la lassitude du silence, j’ai cassé les limites muettes et mon cerveau a décodé votre parole symbolique: l’écriture. »[2] Nous dit Hélène Nicolas, qui dit-elle, est soumise à la « jacasserie humaine »[3]. Elle qui se nomme Hélène mais aussi LN[4] se définit comme « Poète sans papiers, sans origines littéraires, sans règles sociales »[5]Parlant de son « Etrotiste »,[6] elle écrit :

« Le bruit des lettres qui s’entrechoquent en cascades de mots.
Teintes multicolores du dédale galopant.
Notre pouvoir d’y croire.
S’inscrit lettre par lettre »[7]

 « La jacasserie humaine » n’est-ce pas le bruit de lalangue, son côté parasitaire, hors sens et riche en équivoque contre lequel tout autiste se défend car il est fait d’équivoques ? Les équivoques n’est-ce point les « Les teintes multicolores du dédale galopant » qu’elle veut faire taire ?

Le moyen pour LN pour ce faire c’est la lettre, la segmentation par l’élément, le travail lettre par lettre qui évite qu’elles « s’entrechoquent ». Le sujet autiste en effet veut, selon Eric Laurent, traiter « le foisonnement « lallatif » (inclus dans lalangue) en le réduisant au Un de la lettre qui se répète […], vocalisée ou répétée en silence. »[8].

Babouillec ne nous dit-elle pas que « La soif de l’être qui trouve sa source dans l’écriture de D.I.E.U qui devient une soif de lettres. »[9] ? Dans sa pièce intitulée « Soif de lettres » elle se demande « pourquoi choisir DIEU pour piloter nos vies ? », elle oppose « les penseurs dogmatisés par leur image » à « ceux dont l’image fuit le miroir » [10] et compare les limites du corps à « des bouées de sauvetage pour se voiler la face. »[11]. L’image du corps, image reine, y est décrite comme le Dieu des normo-typiques ou encore « comme un double de nous-même »[12], ici donc la fonction du double qui supplée à l’image manquante.

Ceci alors que – comme elle le précise : « Exister dans l’absence du besoin d’être identifié nous rapproche du rien. »[13]

Dieu dans cette pièce, s’il surgit dans l’œil d’une caméra donc pas sans lien à l’image, en est réduit à la fonction d’acronyme. Les quatre lettres qui composent son nom D.I.E.U. pouvant être déclinées de différentes façons, par exemple en Donner l’lllusion de l’Etre Unique.

Sans le secours de l’image corps qui dupe les normo-typiques, Babouillec utilise dans un premier temps une bouée réelle qui fait bord, pour se déplacer dans l’existence. C’est ensuite la chaîne de mots-signes que tisse son œuvre qui viendra prendre cette fonction de bord, comme l’illustre bien la réalisatrice de « Dernières nouvelles du cosmos », Julie Bertuccelli, lorsque l’on voit des lettres lumineuses former des mots sur le corps de Babouillec). Ce travail sur la lettre est aussi bien mis en valeur dans la mise en scène de P. Meunier où le RIEZ (qui renvoie au travail de la mère qui a voulu que le rire remplace les cris chez sa fille, la faisant rire en caressant son corps avec un objet), par le basculement du Z qui devient un N, nous amène au RIEN. Rien qui est le lieu où LN nous convoque en tant que « point de rencontre. ». Ce qui semble à entendre dans l’équivoque !

La lettre ici fait bord, Babouillec la fait résonner autrement dans une langue poétique et énigmatique.   L’œuvre ainsi constituée lui donne alors une autre identité : « Ecrire m’aide à me structurer socialement et mécaniquement […] L’écriture a rempli mon espace et j’adore la sensation de me sentir en vie dans cette extase identitaire de partager mes mots. »[14].

Du fait de sa création LN est devenue Babouillec S.P. (sans parole) poétesse reconnue avec l’inscription dans le lien social qui va avec. Notons cependant qu’il faut qu’elle passe par la voix d’un autre (acteur, lecteur) comme support de l’énonciation de son dire, elle qui ne veut céder la sienne.

 

[1] Laurent E., La bataille de l’autisme, Navarin éditeur, Paris, Octobre 1992, p.91

[2] Babouillec S.P., Algorithme éponyme et autres textes, Introduction, Rivages, Condé-sur-Noireau, 2016, p.11.

[3] Idem p.24.

[4] Idem p.65 et 70 : “LN diminutif autistique de Babouillec autiste sans paroles“

[5] Idem p.12.

[6] Idem p.73.

[7] Idem p.57.

[8] Laurent E., La bataille de l’autisme, Navarin éditeur, Paris, Octobre 1992, p.89

[9] Babouillec S.P., Soif de lettres, Christophe Chomant Editeur, Rouen, 2015, p.13

[10] Idem p. 33 et 34

[11] Idem p.26

[12] Idem p. 17

[13] Idem p. 39

[14] Babouillec S.P., Algorithme éponyme et autres textes p.13-14.                 .