Par Yohann Allouche.
Naoki Higashida, Sais-tu pourquoi je saute ?, J’ai lu, 2014, texte japonais 2007, traduit en anglais en 2013
Pourquoi saute-t-il ? Pourquoi parle-t-il si bizarrement ? Pourquoi répète-t-il la même question inlassablement ? Pourquoi se bouche-t-il les oreilles ? Pourquoi ne peut-il pas se tenir tranquille ? Déteste-t-il qu’on le touche ? Préfère-t-il rester seul ? Pourquoi est-il toujours en train d’essayer de s’échapper ? Et pourquoi diable ne me regarde-t-il pas quand je lui parle ??
En voilà des questions !
Il s’agit d’un petit livre, un petit manuel à l’usage des parents d’enfants autistes, des éducateurs et de tout intervenant auprès d’enfants autistes, qui donne quelques clés face aux questions rencontrées avec ces sujets. En effet, quel parent ou intervenant auprès de ces sujets ne s’est-il jamais interrogé ?
Sais-tu pourquoi je saute ?, est écrit par Naoki Higashida, un jeune japonais autiste âgé à l’époque de 13 ans, à l’aide d’une grille alphabétique comportant les quarante caractères de base hiragana[1]. Naoki désigne chacun des caractères sur cette grille, formant ainsi des mots, et un assistant est chargé de les retranscrire. Il y a aussi des chiffres, des signes de ponctuation, les mots « terminé », « oui » et « non ». Il peut par ailleurs utiliser directement un ordinateur. Il a aujourd’hui 27 ans, a publié plus de 20 livres, tient un blog[2], mais il ne parle toujours pas.
Ce témoignage a, par exemple, permis au père d’un enfant autiste – le romancier David Mitchell qui s’est chargé de le traduire en anglais – « de franchir un cap dans la relation avec [son] fils »[3]autiste et d’un peu mieux comprendre ce qui se passait pour lui.
Ce livre a la spécificité d’avoir été écrit par un autiste qu’on ne dirait pas « de haut niveau » ou « Asperger », mais qu’on dirait plutôt de « Kanner », ce qui est chose assez rare dans le champ de la littérature sur l’autisme[4].
En japonais, les trois caractères utilisés pour signifier « autisme » sont : « soi », « enfermé » et « maladie ».
L’ambition de l’auteur est de provoquer une certaine tolérance, voire une certaine ouverture chez les personnes ayant affaire à des sujets autistes. Chaque chapitre est une réponse à une question qui lui a été posée. Il s’efforce d’y répondre du haut de ses treize ans. Et ce qui ressort de cette lecture, c’est surtout le rapport au corps propre, ou plutôt l’absence de rapport au corps, le corps vécu comme étranger, incontrôlable, n’en faisant qu’à sa tête : « Un autiste ne contrôle même pas son propre corps. Pour nous, rester immobiles ou se déplacer quand on nous le demande, c’est compliqué, un peu comme essayer de contrôler à distance un robot détraqué ».
Et pourquoi ne pas regarder dans les yeux, l’interroge-t-on ? Naoki répond : « ça me donne la chair de poule (…). Ce que nous ‘regardons’, c’est la voix qui nous parle »[5].
Mais laissons les questions en suspens…
Ce livre pourra donner des conseils, des pistes, des éléments de réponse, voire un réconfort, il n’est bien entendu pas à prendre comme un livre de recettes. Il demeure le témoignage d’un sujet.
Hormis les questions/réponses contenues dans ce livre, il est parsemé de textes magnifiques, des fables et des contes tels « Le Terrien et l’Autiste » ou bien celui intitulé « Je suis juste ici ». Ce dernier raconte l’histoire d’un petit garçon regardé par tout le monde et à qui arrive un terrible accident : il est mort mais ne s’en est pas rendu compte. Il doit alors se rendre sur le chemin du ciel, rencontrer Dieu au paradis, et assister au désarroi de ses parents qui ont perdu leur fils, ne pouvant leur rendre visite qu’en restant invisible à leurs yeux. La seule solution serait de « naître une seconde fois »[6].
[1] Selon Wikipedia : « Les hiraganas sont un syllabaire japonais et une des quatre écritures du japonais avec les katakanas, les rōmajiset les kanjis ».
[2] Son blog : http://higashida999.blog77.fc2.com//
[3] N. Higashida, Op. Cit., introduction faite par David Mitchell, p.21.
[4] Citons d’autres exemples : Birger Sellin, ou plus récemment Babouillec.
[5] N. Higashida, Op. Cit., p.47.
[6] Ibid., p.51.