Quand l’autisme fait cause(r)

Par Bertrand Péraut.

Déjà deux ans d’existence pour le CERA et un premier cycle d’enseignement qui s’achève[i]. C’est l’occasion, pour l’un de ses auditeurs, d’en dire son expérience.

Le dispositif d’enseignement du CERA est original mais s’appuie néanmoins sur la direction prise dès longtemps, à partir de l’École de la Cause freudienne, de faire conversation – et pas seulement entre psychanalystes. Cela s’entend. Chaque matinée de travail croise en effet l’exposé théorique d’un analyste engagé dans la transmission de la psychanalyse, la présentation d’un cas choisi dans la clinique d’un praticien, et le témoignage tout aussi enseignant d’un parent de sujet autiste. De cette mise en commun ressortent un certain nombre de points.

Il n’est pas anodin de remarquer par exemple qu’ici l’autisme fait lien social. Celui des intervenants avec des auditeurs – dont les remarques et questions sont toujours attendues et bien accueillies – mais plus généralement celui des différents partenaires que peut rencontrer un sujet autiste dans son parcours. Ce n’est assurément pas pour rien que Lacan fit de la psychanalyse un discours – soit ce qui fait lien social. La démarche du CERA n’est pas – et pas du tout – de dire que la psychanalyse serait la seule réponse qui vaudrait et justifierait un tout-psychanalyse. Le CERA se situe plutôt d’un pas-sans-la-psychanalyse.

En effet, au cours de ce premier cycle d’enseignement, tous les témoignages de rencontre avec un autiste mettent l’accent sur la capacité d’invention de ces sujets. Par ailleurs, ils laissent aussi apercevoir, souvent dans une grande discrétion, qu’il a fallu la rencontre d’un partenaire – au sens de celui avec qui on joue sa partie –, partenaire adéquat pour que l’invention puisse surgir. Le partenaire en crée les conditions de possibilité, au moins en partie. S’il n’est pas nécessaire qu’il soit un praticien de la psychanalyse, il est assez frappant de constater que parents, éducateurs, enseignants et thérapeutes trouvent à un moment une place qui convient dans la relation, et ne la trouvent le plus souvent qu’à mettre en suspend leur savoir propre, à supporter un vide de savoir. Ce point est audible jusque dans les exposés théoriques, puisque ceux-ci reposent d’une façon directe ou indirecte sur ce qu’enseigne la clinique, la rencontre avec un sujet souffrant. Cette mise en suspens du savoir côté partenaire ne coïncide probablement pas exactement avec la fonction de l’analyste mais elle est une de ses coordonnées sine qua non depuis Freud.

On entend également aux activités du CERA que le sujet autiste y est considéré comme un sujet de plein droit, responsable de sa vie, capable d’inventer ses propres réponses à la question de l’existence, et ce à l’envers de tous les discours – et ils sont nombreux ! – qui ne peuvent le concevoir que comme procédant d’un déficit quel qu’il soit (génétique, neurologique, développemental…). Aussi bien le savoir produit dans la rencontre avec l’autisme ne se limite-t-il pas à des enjeux cliniques ou thérapeutiques. L’autisme pose une question politique dans la mesure où il interroge la capacité des démocraties à accueillir la différence. Si nous nous réglons sur l’énoncé de J.-A. Miller selon lequel l’autisme est le « statut natif du sujet »[ii], alors nous sommes tous concernés.

On ne s’étonnera donc pas que le thème choisi pour ce premier cycle soit Des styles et des méthodes, au pluriel, qu’on peut entendre par exemple comme les heureuses rencontres d’un style avec le sérieux d’une méthode. Nous pouvons ici supposer que styles et méthodes se réfèrent aussi bien à l’autiste lui-même qu’à ses partenaires. Chaque sujet autiste fait en effet valoir une méthode et un style lui permettant de « faire prendre patience à cette situation incommode d’être homme »[iii]. Celles et ceux qui l’accompagnent à l’occasion se montrent aussi à la hauteur de cette tâche.

Les cas dépliés au CERA ne témoignent pas d’un dysfonctionnement qu’il s’agirait de réparer ou corriger, d’un déficit qu’il faudrait combler. Ces exposés révèlent bel et bien au contraire un fonctionnement relevant d’une logique et démontrent que le sujet autiste, comme tout sujet, est au travail pour se débrouiller de l’insupportable. Dans ce travail les autistes montrent qu’ils n’excluent pas l’assistance d’un partenaire, voire même qu’ils la cherchent, pour peu que nous sachions les écouter et leur parler convenablement. Dans son exposé du 25 mai dernier, Jean-Robert Rabanel soutenait ainsi que tel sujet autiste qu’il rencontre ne refuse pas l’échange mais seulement la signification. Prenant acte de ce refus, une véritable conversation, hors-sens, a commencé.

La conversation continue également au CERA, dès la rentrée prochaine. Les participants sont animés d’un désir qui les réunit le samedi matin, une fois par mois, et le CERA n’est assurément pas pour rien dans la cause de ce désir.

[i] Enseignement coordonné par Laurent Dupont à l’Ecole de la Cause freudienne 1, rue Huysmans à Paris.

[ii] Miller, Judith (dir.), L’avenir de l’autisme avec Rosine et Robert Lefort, Paris, Navarin (La bibliothèque lacanienne), 2010, p.106.

[iii] Lacan, Jacques, « Ouverture de la Section Clinique », in Ornicar ?, n° 9, Paris, 1977, p. 7-14