Un pari réussi !

Par Solenne Albert.

La première journée du CERA du 10 mars 2018 fut d’une grande richesse – une vraie respiration. Des témoignages de parents, à ceux de professionnels travaillant auprès d’autistes, le ton était juste, le propos concis, clair, percutant. Ce qui m’a particulièrement marquée, c’est de voir combien chacun pouvait se sentir concerné, au plus intime de son être, par ce qui était dit. Je me suis demandé pourquoi ? Peut-être est-ce parce que, dès le début, D. Holvoet nous a rappelé qu’il n’y a pas « les parents d’enfants autiste ». Il y a « les parents ». Et devenir parent, c’est se situer dans une intranquillité fondamentale. Des questions se poseront, des craintes, des angoisses… Car, pour le parent, l’enfant est un objet petit a, donc, fondamentalement le lieu où l’on situe son propre manque, ses angoisses, ses doutes, etc. Et l’enfant, notre enfant, ne correspond jamais totalement à nos attentes. C’est sur ce point que parents et psychanalystes se retrouvent, a souligné Christiane Alberti, en ouverture de cette journée : aimer la différence, aimer son enfant dans son altérité, dans ce qu’il a de singulier, et ménager pour l’enfant un espace de liberté.

Chacun : parents, professionnels, psychanalystes, ont témoigné qu’ils se retrouvent devant une nécessité : celle de devoir inventer car l’autisme les confronte à un trou dans le savoir.

C’est ce dont a témoigné Françoise Baudouin, mère de Zoé, accueillie à 17 ans à Nonette. Elle a parlé avec le recul d’une expérience de 11 années de prise en charge de sa fille. Evoquant les débuts, l’appel à l’aide, la détresse ; puis l’accueil, la création d’un lien de confiance, qui fut si précieux et qui permis une séparation. Grâce à l’appui du transfert à l’équipe, ce « tiers désirant », elle découvre qu’un regard différent peut être porté sur sa fille. Et par conséquent, quelque chose de son propre regard sur sa fille se modifie. Elle la voit vivante, joyeuse, alors que jusqu’ici dominait la peur, les inquiétudes pour sa fille. Elle ressent alors la fierté d’être parent. « Des signifiants singuliers nous percutent, dès ce temps un de l’accueil. » a souligné Jean Robert Rabanel.

Lors de chaque séquence de cette journée, chaque témoignage, c’est le récit d’un petit détail, un instant saisit sur le vif, qui nous permet de saisir ce qui se joue et comment « jouer la partie avec cet enfant-là » a été possible. Impossible de plaquer les solutions trouvées pour un enfant sur un autre enfant. C’est ce que Daniel Pasquallin a démontré : une invention, la création d’un lien à l’enfant est possible, à condition de se laisser enseigner par le savoir des parents. « Sans les parents pour nous parler de leur enfant, nous n’aurions pas la possibilité de faire ce travail. Le savoir des parents vaut cher à nos yeux » a indiqué Alexandre Stevens, précisant qu’au courtil, il n’y a pas de méthode, c’est chaque fois une expérience nouvelle, ce qui fait que cela reste vivant.

L’interview de Jacqueline Léger, psychologue, autiste, grande lectrice, ayant un long parcours d’analysante, a touché l’auditoire en bousculant un certain nombre de préjugés sur l’autisme, parlant de ce qui avait rendu possible l’écriture de son livre : « Un autisme qui se dit, fantôme mélancolique. » Issue d’une famille nombreuse, sa fratrie l’a habillée. En particulier Patrick, son « double », l’enfant préféré de sa mère. Dans son livre, elle invente David qui est « l’habillage du livre » écrit pendant six ans. Le récit d’une scène où elle découvre que sa mère, qu’elle pensait toute puissante et infaillible, ne sait pas tout, est un moment libérateur et drôle qu’elle nous a communiqué.

Lors de la séquence « Faire école » animée par Jean-François Cottes et Éric Zuliani, Valérie Gay-Corajoud nous a transmis le sel de ses rencontres avec l’institution scolaire pour son fils Théo : ses difficultés, ses espoirs, les impossibles rencontrés, car l’école entraînait trop de souffrance et d’angoisse pour Théo, puis les solutions trouvées. Ce que cette séquence mettait en exergue, c’est qu’il y a des enfants pour lesquels l’institution scolaire est un système trop rigide pour pouvoir être supporté. Mais pour autant, ces enfants ne sont pas sans être animés d’un désir de savoir. N’oublions pas que l’école « est un ordre dur » a souligné Éric Zuliani, précisant qu’il y a des jeunes qui ont un goût intense du savoir mais pour lesquels l’école est compliquée. Chaque parent a affaire à ce point d’intranquillité, voir d’angoisse, que l’école peut représenter. Or l’école « ne doit pas vouloir être plus qu’un jeu de vie » écrivait Freud dans sa conférence « Pour introduire la discussion sur le suicide ». Lorsque l’école n’est pas un jeu, qu’elle est éprouvée par l’enfant comme un réel insupportable et trop sérieux, alors on peut s’interroger. Eric Zuliani a souligné que par conséquent, « pourquoi on veut l’école ? » est la question pertinente que pose le livre de Valérie Gay-Corajout.

Yves Claude Stavy, fondateur de l’IHSEA, nous a expliqué comment a été rendue possible la création d’un pont, une passerelle entre la psychiatrie et l’éducation nationale, en faisant le pari du besoin des deux. Puis David Marec, enseignant à l’IHSEA et au lycée d’Aubervilliers, nous a expliqué ce dispositif d’accueil singulier : une classe de six élèves qui accueil des lycéens en grande souffrance psychique. L’enjeu est de réussir à proposer un enseignement « sur mesure » sans pour autant adapter le programme. Aucune formation particulière pour ces enseignants, mais des groupes de travail en commun, avec l’équipe pluri-professionnelle. La première découverte a été que ces jeunes ont une soif d’apprendre, une soif d’école. Avant on disait aux parents : votre enfant ne relève plus de l’école, il relève du soin ». A ce moment-là, c’était trop tard. Le soin arrivait en dernier recourt, lorsque l’école n’était plus possible. Aujourd’hui, un travail en amont peut se faire, qui permet à de nombreux jeunes d’éviter la déscolarisation.

La matinée fut ponctuée par Laurent Dupont, qui souligna la subtilité des trouvailles des professionnels et des parents qui doivent souvent inventer de faire signe à l’enfant autiste avec leur corps, pas avec du sens. Il s’agit, à chaque rencontre, de « repérer le plus infime de l’invention déjà là. »

C’est ce dont a témoigné l’après-midi Mireille Battut, présidente de l’association « la main à l’oreille » et mère de Louis, enfant autiste : « Je découvris qu’il m’entendait mieux quand je chantais mes phrases. » Il se met lui-même à chanter, une main à l’oreille puis se met à jouer du piano, instrument pour lequel il se passionne et qui lui donne un corps. « Je ne m’attendais pas à être vidée de mon savoir. » dit-elle en évoquant son désarroi face au silence de son enfant qui ne répondait pas à l’appel.

Fabrice Bonnet, père d’un enfant autiste, expert auprès de la HAS, professeur de médecine à Rennes a relaté le traumatisme que fut l’une des réunions sur la prise en charge des comorbidités psychiques dans l’autisme à laquelle il participait. Une mère d’enfant autiste, responsable d’association, soutenant mordicus qu’il n’y avait pas de souffrance dans l’autisme. L’autisme d’un enfant confronte à un tel trou dans le savoir que le déni de la souffrance de l’enfant peut être une défense contre sa propre angoisse de parent.

Marc Langlois, père d’un enfant autiste, évoqua ainsi sa manière de vivre avec l’autisme de son fils : « Je dois m’efforcer de l’accompagner dans ce qu’il a de plus étrange pour moi ». A force de patience, et d’intérêt porté à la singularité de son fils, celui-ci s’apaise, il sort de la détresse et du silence. Marc Langlois découvre une logique dans tout ce qui fascine et terrifie son fils : l’orage, l’éclair, Buzz l’éclair, etc. Il est passé « de subir les orages de son fils » à « parler des orages avec son fils ». L’orage qui terrifiait devient ce dont ils adorent parler tous les deux.

Marchant côte à côte en montagne, Marc Langlois demande à son fils pourquoi il s’intéresse tant aux bergers : « Un berger, c’est quelqu’un qui suit une étoile. » Cette phrase très sensible et poétique donnait la clé de ce que peut être un père pour son enfant. Un père berger, qui suit et protège. « Pour tout parent, il s’agit à un moment donné de saisir que son enfant c’est quelqu’un d’autre. », a ponctué Alexandre Stevens.

La conférence d’Éric Laurent a redonné espoir a ceux qui, parents ou professionnels, souffrent de l’ambition des politiques et de la HAS de faire disparaitre la psychanalyse et le droit à la singularité au profit des thérapies comportementales. « Nos efforts pour faire entendre une voix autre commencent à porter leurs fruits. » Jusqu’ici, il était impossible de se faire entendre – maintenant, de plus en plus de voix s’élèvent pour demander le respect de la pluralité des approches. Ces techniques cognitivistes font passer les parents du rôle de parent à celui d’éducateur. En faisant croire aux parents en détresse qu’il serait possible de suivre un protocole pour sortir de l’autisme. Or, maintenant que ces thérapies sont mises en place depuis plusieurs années, un certain recul est possible et les chiffres sont accablants. Très peu d’enfants pris en charge par méthodes comportementales suivent ensuite une scolarité. A l’opposé des protocoles valables pour tous, la psychanalyse suit le fil de l’invention, des trouvailles. Les nouvelles technologies de la communication permettent de traiter la voix et le regard, d’une façon nouvelle. Ce sont des inventions qui permettent de rentrer en contact, tout en n’étant pas en corps à corps.

Cependant attention à ne pas faire de l’invention un leitmotiv ! « Les mères, les pères, ne sont pas toujours au top ! On ne peut pas être toujours inventifs ! On ne va pas exiger l’invention. » a indiqué Eric Laurent. « Car il faut tant d’angoisse pour que du nouveau vienne au jour. »

A la clôture de cette journée, Gil Caroz a indiqué que « l’enfant autiste nous permet de rester en contact avec le réel. Le réel ne peut pas être mis au pas. » Et qu’être parent, c’est peut-être ne pas vouloir imposer à nos enfants un modèle à tout prix. Fondamentalement, pour chaque parent, il y a une adoption de son enfant à faire, « l’enfant est un étranger, un migrant qu’il faut adopter. »

L’occasion des journées comme aujourd’hui, à ponctué Gil Caroz : « sortir de la solitude, pour repartir au combat, mieux armé ! »

C’est en effet ce qui s’est produit. Cette journée a eu un effet vivifiant, grâce à l’énonciation de chacun des intervenants : authentique, engagée. Le désir de faire passer la force et la beauté de leur rencontre avec un enfant autiste, sans en camoufler les points de réel et de difficulté, est bel et bien passé.

Cette première journée du CERA était un pari réussi !