Actualité de l’autisme dans la science

Par Michel Grollier,
professeur de psychopathologie (Rennes 2).

Dans le quatrième volet du plan autisme, on trouve les recommandations concernant les adultes, (interventions et parcours de vie de l’adulte), elles ont été mises à disposition du public en 2018. Comparativement aux précédentes recommandations concernant l’enfant, il y a des avancées. Par exemple, les intérêts spécifiques sont désormais reconnus comme des habiletés particulières qu’il faut savoir valoriser. Et l’esprit général est beaucoup moins rééducatif que dans les plans précédents.

Dans cette démarche nous devons aussi signaler une plus grande présence de représentants du courant « psychodynamique » et psychanalytique. Une école de psychanalyse y est ainsi présente en son nom. Nous assistons là à un bougé manifeste, parce que l’enjeu n’est pas du même ordre qu’avec les enfants, et que des praticiens qui s’appuient sur les théories psychodynamiques et des psychanalystes y ont participé.

Cependant, si nous mettons en lien ces recommandations avec les textes du lancement du quatrième plan autisme par le gouvernement (au moment où la France investit dans les sciences du cerveau pour répondre aux défis de la folie et de l’autisme), nous devons rester vigilants à lire les conséquences d’un abord qui consiste uniquement en un certain usage de la science.

Le gouvernement a diffusé largement son dossier de presse d’avril 2018 qui accompagne la présentation du plan. La stratégie nationale pour l’autisme 2018-2022 prévoit cinq « engagements » déclinés en vingt mesures. Le premier des engagements consiste à « remettre la science au cœur de la politique publique de l’autisme en dotant la France d’une recherche d’excellence ». Je rappellerai qu’en 2012, en présentant le plan autisme 2013-2015, Roselyne Bachelot disait déjà que la première orientation de son plan autisme serait « d’intensifier la recherche sur l’autisme dans toutes les disciplines pour faire progresser l’état des connaissances et les pratiques »…

En 2018, sous l’intitulé « Autisme, changeons la donne ! », nous trouvons l’intervention de Sophie Cluzel, secrétaire d’Etat auprès du premier ministre chargée des personnes handicapées. Elle y rappelle la nouvelle stratégie nationale qui se fixe comme objectif de… « remettre la science et la recherche au cœur de notre politique publique, pour accélérer nos connaissances et les diffuser plus rapidement afin de tordre le cou aux idées reçues, aux préjugés, aux stéréotypes » ! Et elle ajoute : « D’ores et déjà, à partir du socle de connaissances et des recommandations de bonnes pratiques qui se diffusent enfin, nous pouvons changer la donne. »

Beaucoup de points à noter dans ce dossier ; par exemple : « 37 % des français pensent, à tort, que l’autisme est un trouble psychologique ». Cela soulève en effet une question dont la réponse n’est peut-être pas aussi simple que celle qui s’esquisse dans le document qui ajoute : « Moins de jours de scolarisation, moins de réussite scolaire, plus de 800 gènes impliqués » ! Ce dernier point est extrait d’un dossier de l’Inserm dont nous aimerions mieux connaître le contenu, car une telle remarque fera grincer les dents de la plupart des généticiens. Nul ne remet en cause la possibilité de facteurs génétiques qui participeraient à la causalité de l’autisme ; cela n’autorise pas pour autant un réductionnisme qu’aucun scientifique sérieux ne peut cautionner. Entre bonnes idées et volonté scientiste, le rouleau compresseur est en marche : revoir les formations dans le champ de la santé et le champ éducatif, découvrir de nouvelles technologies facilitatrices, comprendre le fonctionnement du cerveau et maîtriser les causes de tous les troubles du comportement et du développement…, évidemment aussi, devenir leader mondial dans les neurosciences et le neuro-développement, rayonner ainsi dans la communauté mondiale.

Ajoutons que pour « accélérer la production de connaissances scientifiques » sur l’autisme et les troubles du neuro-développement, le gouvernement a prévu de consacrer 14 M€ à la « recherche d’excellence » dans ce domaine, dans le cadre de la stratégie nationale pour l’autisme, présentée le 6 avril 2018. « La France a le potentiel pour être leader en matière de recherche sur le neuro-développement », indique la stratégie. « L’enjeu est de structurer une communauté de recherche d’excellence dans ce domaine, de créer un écosystème performant facilitant les interactions pluridisciplinaires (…) et attirant les jeunes chercheurs. » L’ensemble de la stratégie mobilisera une enveloppe de 344 M€ sur cinq ans, dont l’essentiel ira à l’intervention médicale précoce, aux mesures en faveur de la scolarisation et à l’accompagnement des adultes. Mais pourquoi tout miser sur des promesses, attirantes mais toujours incertaines ?

Et quand le premier ministre, Edouard Philippe, dit dans son intervention : « Notre action doit tout d’abord reposer sur des connaissances scientifiques solides », nous ne pouvons qu’être intéressés, à condition de s’entendre sur ce que sont des bases scientifiques solides dans ce domaine. Certes, la France a « des chercheurs reconnus sur le plan international (…), mais il s’agit aussi de structurer toute une communauté de recherches sur l’autisme et les troubles du neuro-développement », indique-t-il. « Ces connaissances nouvelles n’ont pas vocation à rester dans les laboratoires : elles devront bénéficier au plus vite et de manière concrète aux personnes autistes, en créant un continuum entre la recherche, l’expertise clinique et la formation universitaire ». Et reprenant les éléments de sa secrétaire d’état, il rajoute dans son discours que « l’ambition du gouvernement est de remettre la science au cœur de l’action pour l’autisme », pour « en finir avec l’océan de méconnaissance ou de représentations erronées qui excluent quotidiennement les personnes autistes et leurs proches ». Nous nous demandons à quelles représentations il fait référence, ABA, TEACCH ? Et comment ces connaissances scientifiques pourront avoir un effet direct sur la question de l’exclusion.

Et les effets sont là puisque le 29 novembre 2018, Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé, inaugurait avec Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, le nouveau bâtiment de l’Institut de Psychiatrie et Neurosciences de Paris (IPNP). Ce partenariat Inserm, université Descartes et Hôpitaux de Paris, est le nouvel outil pensé pour relever ces défis de la recherche. Ce projet qui va regrouper environ 200 chercheurs vise la « compréhension mécanistique des processus biologiques dans le cerveau sain et dans les maladies neurologiques et psychiatriques ».

Le directeur de ce nouvel ensemble, Thierry Galli explique que « les travaux de l’IPNP visent à comprendre la manière dont fonctionne le cerveau à tous niveaux, depuis les mécanismes moléculaires jusqu’aux cellules, les réseaux neuronaux et l’intégralité du cerveau, à travers des travaux innovants et interdisciplinaires ». L’IPNP dispose pour cela « d’excellentes plates-formes technologiques », notamment en microscopie, en électrophysiologie et en imagerie ultrasonore. Voilà, il suffit de bons outils et de « vrais » scientifiques pour changer la face de la folie et de l’autisme. « L’institut entend également transférer les résultats de ces recherches en avancées médicales pour les maladies neurologiques et psychiatriques », complète son directeur qui précise : mise au point de nouvelles thérapies, développement de nouveaux équipements et d’outils de diagnostic. Enfin, l’IPNP s’attache à former les prochaines générations de médecins et de chercheurs à mener ensemble une « science collaborative et créative ».

Le discours paraît attrayant : sciences collaboratives, avancées créatrices… Mais quand nous regardons les choix dans les collaborations et les résultats (outils) attendus nous sommes plutôt inquiet, tant pour la pluralité que pour le résultat.

Jean-Luc Chassagnol, directeur du centre hospitalier Sainte-Anne, précise que l’IPNP s’inscrit dans le cadre d’une « réflexion stratégique majeure de l’hôpital Sainte-Anne sur le rôle de la recherche en neurosciences et en psychiatrie, menée avec l’Inserm et l’université Paris-Descartes », qui va aussi conduire à la création, le 1er janvier 2019, du GHU (groupement hospitalier universitaire) « Paris psychiatrie et neurosciences ». Ce groupement va s’attacher à « développer l’interface entre la psychiatrie de secteur, la recherche en psychiatrie et les autres disciplines ».

L’Inserm y a investi près de 5,5 M€. De ce fait, il a « une forte exigence scientifique » qui se trouve satisfaite puisque « tous les feux de l’évaluation sont au vert », se félicite Claire Giry, qu’il s’agisse des publications, des contrats de transfert ou des partenariats industriels. Donc voici un moyen de se rassurer, les évaluations sont bonnes, il y a des publications et des contrats à venir.

Frédérique Vidal déclare pour sa part que « l’hôpital Sainte-Anne est emblématique du lien entre la psychiatrie clinique et la recherche en neurosciences ». Et la ministre de poursuivre : « l’organisation de la recherche en santé mentale est emblématique d’une société, et qu’il convient de la regarder avec les mêmes espoirs et les mêmes exigences que pour les autres sciences », mais peut-être pas avec les mêmes outils. La chimie, l’astrophysique ou les mathématiques ont bien créé leurs moyens en lien avec les effets recherchés et les résultats attendus ; à moins qu’il y ait malentendu sur les effets recherchés…

Nous ne pouvons éviter de nous rappeler les promesses sur le syndrome d’Alzheimer, programme qui s’est vu renvoyé dans les cordes par cette même ministre au vu des mauvais résultats de ces recherches, et des effets problématiques des quelques traitements proposés… Décidément la mémoire manque sur la question des promesses faites au nom de la science… Il y a un problème avec les nouvelles croyances de notre monde contemporain.

Et quand « l’ambition du gouvernement est de remettre la science au cœur de l’action pour l’autisme », pour « en finir avec l’océan de méconnaissance ou de représentations erronées qui excluent quotidiennement les personnes autistes et leurs proches », nous comprenons mieux les enjeux. Surtout quand est rappelé que concernant l’autisme, « seront identifiées avec les universités et les organismes de formation les modalités de déploiement de programmes de formation, en priorité à destination des professionnels de santé, de l’accompagnement et des personnels de l’éducation nationale ».

Alors non, je ne pense pas qu’il faille s’endormir suite à l’avancée des dernières recommandations, et une réflexion sur ce qui est en jeu est à poursuivre. C’est ce qui sera proposé en juillet à Bruxelles, au congrès Européen de psychanalyse PIPOL9 dont le thème porte sur l’inconscient et le cerveau, sous le titre « L’inconscient et le cerveau, rien en commun ».