Colloque de Rennes. 3 questions à Myriam Chérel

Myriam Chérel est la directrice scientifique du colloque international interdisciplinaire de psychopathologie et clinique psychanalytique « Autisme : numérique et robotique. Quel partenaire privilégié pour le 21e siècle ? » qui se tient à l’université Rennes 2 les 7 et 8 novembre 2019 (lire les infos ici). Elle répond en avant-première aux questions de La cause de l’autisme.

La Cause de l’autisme – Après un premier colloque retentissant qui nous a fait découvrir l’Affinity therapy, pourriez-vous nous préciser l’enjeu de celui-ci ?

Myriam Chérel – Ces dernières années nous connaissons une déferlante d’articles dans la littérature spécialisée sur le numérique et dans les médias, où les robots sont présentés comme les nouveaux partenaires de l’autiste. Qu’en est-il vraiment ? De surcroît, la Bretagne est depuis quelques années la région pilote de l’introduction de nouvelles technologies dans le traitement de l’autisme et des robots humanoïdes dans leur éducation. De nombreuses institutions se sont vues allouées des budgets considérables pour l’achat de robots censés révolutionner la prise en charge des autistes.

Le projet de ce colloque sera alors, dans un premier temps, d’analyser les objectifs, les usages et les résultats de l’utilisation de cette technologie de pointe affiliée à des programmes rééducatifs : le robot comme « facilitateur pour la rééducation ». Nous analyserons également ce qu’il en est du robot humanoïde ou robot social dans le soin psychique considéré comme « médiateur transférentiel », « facilitateur d’interaction », « catalyseur de motivation » et/ou « objet privilégié de projections ». Mais qu’on se le dise : que ce soit le robot rééducateur chez les cognitivistes ou médiateur de la relation transférentielle chez les psychanalystes postfreudiens, il s’agit toujours d’une conception envisageant l’autisme comme déficit. Le mot d’ordre, c’est « réparer » ! Quelle place alors pour la créativité ? Le robot humanoïde pourrait-il servir à un autre usage que celui d’un partenaire prêt-à-porter ? À quelles conditions pourrait-il être un assistant numérique du sujet autiste ?

À l’heure où les objets numériques s’immiscent dans les pratiques à des fins d’adaptation, quel message souhaitez-vous faire entendre ?

À partir d’une clinique du cas par cas, nous examinerons l’usage singulier des objets numériques par les sujets autistes, au service d’une construction subjective prenant ainsi des formes aussi diverses que le codage, la programmation, les dessins numériques, l’invention de jeux vidéo, la création de musique électronique, l’usage des sources multiples d’internet et/ou d’applications comme Siri, ou encore l’invention d’un lien social connecté, soit, résumons-nous, des révélateurs de capacités auto-thérapeutiques montrant combien il s’agit non pas de déficit cognitif dans l’autisme mais bien d’un fonctionnement spécifique, de chemins de traverse pour penser, parler, rencontrer sans crainte les autres et échanger.

Et puis, le colloque interrogera ce qui du numérique favorise son attrait pour le sujet autiste : l’interface qu’est le numérique consonne-t-elle avec le registre du littoral ? Permet-elle de faire bord au « trou sans bord » (É. Laurent, 2012) ? Questionne-t-elle les relations qu’entretiennent le réel et l’imaginaire dans l’autisme ? Comment, sur les atouts et attraits du numérique pour développer les affinités des autistes, peut se construire un branchement, un appui, une ouverture au monde, une suppléance, voire un nouage sinthomatique jusqu’à parfois révéler de nouveaux talents ou savoir-faire recherchés par les entreprises, propices à l’insertion sociale et/ou professionnelle.

Le programme fait une large place aux praticiens en institutions, mais également à des sujets qui se disent autistes. Vous faites donc le pari qu’un dialogue soit possible ?

Tout à fait ! Plus encore, je crois que c’est par l’affinité, c’est-à-dire la passion, l’intérêt spécifique qu’autistes, parents et professionnels peuvent se parler et trouver un intérêt commun. Ainsi, les professionnels pourront s’enseigner des témoignages pour s’ajuster dans leur façon de s’adresser et de faire auprès des sujets dits autistes. De surcroît, force est de constater qu’un certain nombre d’autistes contemporains ont des positions très tranchées sur l’usage des objets connectés et leurs fonctions essentielles, voire vitales, qu’ils ont été pour eux, non sans lien aux autres. Mais toujours dans un usage ultra singulier ! Hyper particularisé ! Unique à chaque fois ! Témoignant en cela des ressources auto-thérapeutiques insoupçonnées des sujets autistes pour compenser leur empêchement initial dans le lien social.

Ces ressources et leurs prouesses nous invitent à analyser tout cela lors de ce colloque, afin d’avoir un rapport scientifique à présenter aux politiques, une autre voie à leur proposer. En cela, ce colloque s’inscrit résolument dans la bataille de l’autisme initiée par Jacques-Alain Miller et Éric Laurent.