Foisonnement

Par Guillaume Libert.

Le 9 novembre 2019, le deuxième rendez-vous des enseignements du CERA pour l’année 2019/2020, qui réunissait Dominique Holvoet, Yasmine Grasser et Hervé Damase, fut une nouvelle fois le lieu d’un formidable foisonnement d’enseignements.

Une logique féminine

L’inventivité à l’œuvre au sein du Courtil, institution belge accueillant des enfants ou jeunes adultes autistes et psychotiques, se fonde sur une logique du pas-tout, du un par un. C’est ainsi que le formule Dominique Holvoet, directeur d’une structure créée pour faire sa place au hors-norme du symptôme. Il suffit pour s’en convaincre de visionner le film À ciel ouvert[1], documentaire qui nous plonge dans le quotidien de la vie au sein du Courtil.

Cette logique féminine – une féminité actuellement à l’honneur et à l’étude avec les 49es journées de l’ECF[2] –, à l’opposé d’une méthode qui serait valable pour tous, oriente donc le Courtil depuis 1982. À partir de l’impasse rencontrée par le sujet pour se faire une place, il s’agit d’inventer avec lui la structure à même de l’accueillir. Une institution pour un enfant, en quelque sorte. Cela porte à plus de dix mille le nombre d’« institutions » créées au Courtil à ce jour !

Toucher au symptôme ?

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De gauche à droite : L. Gorini, D. Holvoet, Y. Grasser, H. Damase.

Dans cette veine, vouloir modifier le « symptôme » par la contrainte reste sans effet, comme l’a constaté l’assistante familiale du garçon rencontré par Yasmine Grasser au sein d’un IME[3]. C’est seulement à partir de sa décision de ne jamais toucher au « symptôme », d’accepter ce comportement constituant tout à la fois une manifestation de sa souffrance et une recherche du sujet pour faire avec ce qui traverse son organisme, qu’un allègement a pu advenir.

Le trajet de cet enfant montre qu’une rencontre ne peut se produire qu’à suivre le fil de son travail, qu’à tenter d’épouser la logique qui préside à son comportement. Et c’est par le transfert noué avec Yasmine Grasser que cet enfant « condescent »[4] à entrer dans le lien social. Les cris laissent place aux circuits que ce garçon effectue au sein de l’institution, tirant derrière lui un lacet auquel il a attaché la série de ses objets électifs (une chaussure, sa cuillère, une tasse et une petite voiture). Ces circuits font écho à ceux d’une pulsion qui s’organise grâce au désir décidé d’une femme qui a su tenir compte des objets investis par ce garçon. Il y gagne ce que son assistante familiale nomme une tranquillité.

L’objet et le corps

L’intervention d’Hervé Damase fait, quant à elle, écho au colloque international sur l’autisme qui s’est très récemment tenu à l’université Rennes 2[5]. Un colloque où il était particulièrement question de l’objet et du corps.

Le parcours de D. au centre thérapeutique et de recherche Nonette, institution dont Hervé Damase est l’un des cadres éducatifs, a tenu à l’accueil fait par ce dernier de son usage de la photo. Une photo de son corps sans cesse demandée par D. mais qui, pour lui, était toujours ratée, source d’une grande irritation. Loin de chercher à réussir cette photo, Hervé Damase a su au contraire faire sa place au ratage et à la plainte de l’enfant, soutenant ainsi la création d’un espace subjectif. Fort de ce point d’ancrage, ce garçon à ensuite pu continuer à élaborer autour de cette activité avec les différents partenaires trouvés dans cette structure.

Certains sujets se présentent en institution avec un corps sans appartenance, au sens où ils peuvent se vivre comme sans corps, selon les termes de Dominique Holvoet. Le parcours de cet enfant illustre à merveille les effets produits par un travail à partir d’un objet autistique qui est certes hors-corps, mais qui s’y trouve lié par un investissement libidinal. Le désir d’un partenaire qui fait accueil à cet objet, en tant que support d’un lien social en puissance, peut alors permettre au sujet de venir habiter ce corps. L’allègement est au rendez-vous.

[1]. À ciel ouvert, un documentaire de Mariana Otero sorti en 2013.

[2] Les 49es Journées de l’ECF ont pour thème « Femmes en psychanalyse » et se tiendront les 18 et 19 novembre 2019.

[3]. Yasmine Grasser a également évoqué ce cas dans Lacan Quotidien n° 215 (2012) sous le titre « Histoire d’un reflet ».

[4]. Le terme condescendre fait référence à la célèbre formule « seul l’amour permet à la jouissance de condescendre au désir » prononcée par Jacques Lacan dans son dixième Séminaire (p. 209).

[5]. À l’initiative de Myriam Chérel qui en est la directrice scientifique, le colloque « Autisme : numérique et robotique. Quel partenaire privilégié au 21e siècle ? » s’est tenu les 7 et 8 novembre 2019.