Par Jean-Claude Maleval et Michel Grollier.
Le sentiment de rester le même sous les divers changements qui nous affectent ne tient ni à l’image du corps ni à la proprioception : un accident qui mutile ou qui rend tétraplégique ne fait pas vaciller l’identité. Elle ne tient pas non plus à la diversité des rôles que nous endossons en fonction du contexte : un acteur de théâtre reste lui-même au-delà de tous les personnages qu’il incarne. Le cœur de l’identité, selon Lacan, réside dans l’identification à un signifiant-maître, prélevé dans l’Autre, qui assure une permanence du sujet dans le temps et au-delà de ses rôles. Il se situe à distance de ces derniers, ce qui lui donne la possibilité de les choisir aussi bien que de les abandonner. L’identification symbolique au S1 unifie le sujet, lui permet de se faire représenter auprès des autres signifiants, et donne un point d’ancrage à ses identifications imaginaires. Or, l’autiste témoigne initialement d’une identité floue portée par une différence vague qui porte à considérer que l’identification primordiale s’avère mal assurée. Pourtant, certains témoignages indiquent qu’il parvient parfois à acquérir une assise de son identité à la faveur d’un long travail subjectif. Ce dernier connaît plusieurs étapes que nous allons essayer de dégager.
Quand le signifiant-maître n’opère pas, le sujet s’éprouve inconsistant et ses identifications moïques sont ressenties comme factices. Il est alors volontiers porté à chercher son identité dans l’image au miroir, mais il perçoit alors son insuffisance à opérer une connexion permettant de lester le sujet. C’est ce que manifeste le signe du miroir du psychotique lors duquel il examine pendant de longues heures une image dont il peine à cerner l’étrangeté[1]. Lors de son enfance, une autiste telle que Williams fait aussi le constat que l’identité se dérobe au miroir : « À la maison, confie-t-elle, je passais des heures devant la glace, plongeant mon regard dans mes propres yeux. Là je chuchotais inlassablement mon nom. J’essayais bien de me souvenir de qui j’étais, mais il m’arrivait aussi, à ma grande frayeur, de perdre la faculté de me sentir moi-même. »[2]
Une identité floue
Dans les formes initiales de l’autisme le sujet ne se reconnaît pas dans le miroir[3], il ne répond pas à l’appel de son nom, il n’utilise guère le « Je », il peut même affirmer, comme Matthieu, quatre ans, qu’il « n’existe pas »[4]. Ceux qui se sont retirés le plus profondément dans le néant, selon l’expression de Bettelheim, ceux dont la vie est éteinte, n’investissent pas leur corps. Ce qui touchait celui de Laurie, constatait-il, « ne la touchait pas. Rien de ce qui entrait en contact avec son corps n’entrait en contact avec ce qui pouvait former son être intérieur. Ce n’était pas seulement vrai pour le toucher et la motilité ; cette impression était renforcée par le fait qu’en plus de son mutisme, elle semblait aveugle et sourde »[5]. Le corps de ces maîtres du néant est tellement peu habité que ses éléments ne sont pas assemblés[6]. « C’est comme si, ajoutait Bettelheim, l’ignorance qu’elle avait de son corps avait donné à chaque membre une existence indépendante bien qu’« inconsciente », ce qui permettait à chaque morceau de son corps de fonctionner d’une manière ou d’une autre, mais sans directives centrales de la part du soi de Laurie »[7]. Faire mention à cet égard de « démantèlement » possède une pertinence si l’on considère avec Meltzer que c’est une « suspension de l’attention » qui permet aux sens d’errer chacun vers son objet le plus attractif de l’instant[8].
Les autistes qui sont en mesure d’indiquer quelle était leur perception d’eux-mêmes dans leur prime enfance décrivent s’être ressentis, à l’instar de Williams, « comme un château de cartes, sans poutres d’appui, ni bases solides »[9]. « Rien n’était relié au moi, affirme-t-elle. À défaut de la moindre fondation d’un moi, j’étais semblable à un sujet sous hypnose, totalement ouverte à une programmation ou une reprogrammation, sans question ni identification personnelle »[10]. Elle se vivait alors comme « un cadavre vivant »[11]. Elle intitule son premier livre Nobody, Nowhere.
Le témoignage de Gerland concernant son sentiment de soi dans ses premières années converge pour décrire un état d’indifférenciation peu consistant. Elle s’éprouvait sans « univers intérieur », plutôt, précise-telle, « un degré zéro, un ni-ni, comme dans l’état d’être vidée sans être vide ou remplie sans être pleine. Cet état ne faisait qu’exister dans mon for intérieur. Cette vacuité interne ne me gênait en rien : j’y étais, elle était en moi, c’était tout »[12]. Quand un enfant autiste s’éprouve ainsi, il exprime peu d’envies, ses actes sont principalement déterminés par les modifications de son environnement, et par des mesures pour se protéger de l’angoisse. Sa perception de lui-même reste floue. Lui demander de choisir ou d’inventer est source d’inquiétudes. Il ne s’envisage guère comme acteur de son présent. « On peut être « personne nulle part » de deux façons, affirme Williams, la première est d’être figée et incapable d’agir spontanément pour soi. La seconde est d’être capable de tout faire d’après des répertoires copiés et mémorisés, sans conscience de soi, tout en étant pratiquement incapable d’une action complexe et consciente. »[13]
Toutefois, l’autiste n’est pas une pâte molle en attente de programmation. Dès les formes les plus sévères, il s’affirme par plusieurs conduites caractéristiques : il cherche à éviter les interactions avec ses semblables, il élit volontiers un objet autistique, il présente parfois quelques stéréotypies spécifiques, ses exigences d’immuabilité peuvent faire de lui un véritable petit tyran, etc. Dès lors, Bettelheim est fondé à considérer que « le moi » n’est pas inexistant chez ces enfants. « Malgré le vide épouvantable de leur contact avec les gens et les choses, écrit-il, des développements intrapersonnels ont lieu. Le Soi est étouffé, développé de façon très inégale, mais il semble encore fonctionner de manière minimale, suffisante pour les protéger de tout préjudice supplémentaire. »[14]
Parfois, un certain négativisme s’avère à l’œuvre, Marcia peut se dire une fille « forte pour ne rien faire »[15], Williams considère certains autistes comme des « maîtres du non-être », des parents ont le sentiment que leur enfant souffre d’une « maladie de la volonté »[16]. Pour ce qui concerne les autistes les plus sévères, il est souvent discernable que le choix les panique, de sorte qu’ils préfèrent ne rien tenter. Néanmoins leurs exigences d’immuabilité s’avèrent parfois inébranlables.
Le corps du sujet dont l’identité est floue n’est guère habité. Les mains, affirme Williams, « étaient essentielles à l’hygiène corporelle et au ménage, mais elles n’avaient aucun rapport avec l’intimité ». « Quand j’étais jeune, précise-t-elle, c’était trop compliqué à supporter que le corps était une partie de moi-même. Il ne m’obéissait pas et j’ai échoué à l’identifier comme « self » à proprement parler. […] Ses besoins étaient non pertinents. […] J’ai négligé ses demandes. […] Il était un “autre”, moi j’étais “self” et je comprenais ses messages comme invasions et pas comme sentiments. »[17] Coupé de ses affects, l’autiste à l’identité floue apparaît comme une sorte de sage, qui semble ne rien attendre, jamais content ni déçu, passant aisément d’une activité à une autre, sans paraître concerné par son quotidien.
Dans les formes sévères d’autisme, il est difficile de définir ce qu’il faut entendre par sujet, mais le terme paraît à maintenir pour désigner d’où émane une intentionnalité qui ex-siste au corps et qui prend l’initiative de mesures protectrices contre l’angoisse. Il s’enracine en une identité floue qui n’est pas une absence d’identité. Malgré son fonctionnement de caméléon, Gerland peut affirmer : « mon sens de l’identité avait toujours été clair et jamais dépendant de quelqu’un d’autre »[18]. Williams affirme que les autistes, en dépit de leur perception peu consistante d’eux-mêmes, sont toujours reliés au cœur même de leur être[19]. Il faut noter qu’il s’agit d’interprétations rétrospectives de leur enfance qui peuvent être soupçonnées d’y projeter un sentiment d’identité construit après-coup. Néanmoins, des autistes aussi sévères que Deshays ou Sellin ne font état d’aucune confusion d’identité. Ils témoignent certes d’une pente à la « dépendance fusionnelle »[20], mais ils s’avèrent en mesure de produire des ouvrages qui attestent de leur singularité et de leur « indépendante pensée »[21]. Beaucoup font état d’une identité profonde, coupée du monde, qui leur procure des satisfactions solitaires. « Nous sommes une espèce de différents », affirme une « placardée autiste très déficitaire »[22] telle que Babouillec. « Je chemine dans ce miroir de mon être profond comme ça, sans réfléchir, sans souffrance, dans l’exaltation du bonheur d’être à ma place chez moi »[23]. Cette identité « sans souffrance » est selon ses termes « une identité intellectuelle » qu’elle a gardée en l’ayant exercée pour « tordre les méthodes thérapeutiques » qui lui furent proposées[24].
Il est bien avéré que la plupart des autistes éprouvent très tôt un sentiment confus d’être « différents » de par leur fonctionnement. Ce ne sont pas des objets parmi les objets, même si leur sens de l’identité s’avère initialement très incertain.
Une identité transitiviste[25]
Etant floue, l’identité de l’enfant autiste se laisse aisément capter par des miroirs. Williams note que sa « première manière d’établir des relations » passa « au travers du mimétisme » et « des jeux de miroir »[26]. Quand le sujet prend appui sur un double, il y gagne une dynamique dont il n’est pas responsable. Paradigmatique à cet égard est l’étonnante conduite de l’enfant autiste, souvent remarquée, consistant à se saisir de la main d’un autre pour réaliser un acte qu’il pourrait effectuer lui-même. Philippe, trois ans, « ne savait pas expliquer ce dont il avait envie, alors il venait chercher un de ses proches et lui prenait la main, en manière d’instrument, comme s’il ne pouvait pas utiliser la sienne pour saisir ce qu’il voulait. De fait, il n’essayait jamais par lui-même d’atteindre ce qu’il désirait. Dans ces moments-là […] il ne semblait pas vraiment réaliser qu’il était une personne à part entière qui aurait pu attraper ce qu’il désirait »[27]. Elly ne demandait pas bien sûr, rapporte sa mère, « ni par un mot, ni par un bruit, fût-ce un grognement ou un cri quelconque, elle ne tendait pas non plus la main vers l’objet de sa convoitise, mais, saisissant fermement le bras le plus proche, elle le projetait vers le gâteau. Elle se servait de ce bras, de cette main, comme d’un outil, faisant totalement abstraction de l’être humain auquel il appartenait ». Etrange conduite lors de laquelle l’enfant autiste se donne l’illusion que ce n’est pas lui qui agit : le lieu de sa dynamique semble situé dans un autre. Il est de prime abord difficile d’en discerner la logique.
Cependant, un tel décentrement du lieu d’émission de la libido, traduisant un rapport transitiviste entre le sujet et un double, est fréquemment rencontré dans la clinique de l’autisme. Joey « ne pouvait rien faire sans être mû par des machines. Avant de se mettre à lire, même avant de pouvoir s’asseoir, il devait brancher sa table à une source d’énergie. Ensuite, il devait se brancher lui-même, brancher ses livres et ses crayons à la table et se mettre sur la bonne longueur d’onde »[28]. Pourquoi cet enfant était-il en permanence relié à une machine qui semblait lui fournir l’électricité nécessaire à son animation ? « Il ne pouvait survivre que s’il n’avait pas d’affects, commente Bettelheim. Comme il lui fallait quand même agir, il devait s’assurer que c’était une chose insensible, une machine, qui agissait. »[29]
Afin de se couper de leurs affects, certains autistes peuvent aller jusqu’à remettre au double l’interprétation de tous leurs ressentis corporels. Peter, un enfant autiste d’une dizaine d’années, d’après sa thérapeute « vivait toute relation dans l’abandon de son identité et la fusion avec l’autre personne »[30]. « Au début, écrit Mira Rothenberg, j’étais sa force, sa santé, son contact avec la réalité, son créateur et son sauveur. […] Il était vis-à-vis de moi dans un état de profonde et totale dépendance […] Je lui donnais mon énergie et le laissais dépendre de moi et se nourrir de ma force […] Jamais il ne voulait assumer aucune responsabilité dans la vie, comme s’il ne s’intéressait qu’à son monde imaginaire. Quand je lui demandais de choisir, il répondait toujours : « Qu’est-ce que Mira préfère ? » […] Il répétait souvent : « Mira doit décider pour Peter. Cela lui fait du bien. Cela le met plus à l’aise » »[31]. Gunilla Gerland témoigne d’un fonctionnement apparenté, quoique plus discret, quand elle rapporte avoir longtemps cru que les autres savaient mieux qu’elle ce qu’elle ressentait, de sorte qu’elle s’en remettait à ceux qui avaient envie d’en parler à sa place[32].
Dans la cure analytique, dès les années 1970, Meltzer et ses collaborateurs avaient observés que l’enfant autiste manifestait « un degré inhabituel de dépendance vis-à-vis des fonctions mentales, et pas seulement des services, d’un objet externe », de sorte qu’il employait « l’objet maternel (ou l’objet de transfert maternel) comme une extension du self pour l’accomplissement des fonctions du moi »[33]. « L’essentiel, souligne Meltzer, est qu’il était naturel pour ces enfants d’expérimenter la situation comme un appel à ce que le thérapeute accomplisse une fonction du moi. Ce dernier devait fonctionner non seulement comme un serviteur, ou un remplaçant, mais comme un instigateur dans la situation ; il devait non seulement mener à bien l’action mais aussi décider quelle action devait être entreprise et par conséquent en porter la responsabilité »[34].
L’étrange branchement initialement nécessaire à l’autiste pour pratiquer la communication facilitée relève encore de l’identité transitiviste. Annick Deshays, autiste muette, qui pratique celle-ci, essaie d’expliquer le phénomène : « Mon handicap, écrit-elle, produit une dépendance fusionnelle. J’oublie mon autisme dès que je sens une forte directivité. J’ai besoin d’être propulsée dans ma dépendance. J’ai besoin de sentir plus de force dispensatrice de jeu lié au bifonctionnement intercorporel et intellectuel. »[35] Elle ajoute par ailleurs : « On continue à se nourrir de l’énergie de nos parents. »[36] Pour décrire ce curieux branchement énergétique, d’autres pratiquants de la communication facilitée utilisent des termes semblables : « si le procédé « prend », écrit M. Klonovsky, si la personne handicapée est douée d’intelligence, contrairement à ce que l’apparence extérieure laisse supposer, quelque chose a lieu qui pourrait se comparer au passage d’un courant électrique : le contact rend le handicapé apte à communiquer par la désignation ou la pression des touches de l’ordinateur »[37]. Tel est le vécu de B. Sellin. Il affirme avoir « besoin d’appuis » pour écrire. Il précise que s’il tente de le faire seul, s’il cherche à prendre une position d’énonciation, sans avoir l’illusion que c’est sa mère qui lui fournit l’énergie, alors surgit une angoisse qui rend son expression impossible : « je m’applique aussi à écrire seul, confie-t-il, mais la brutale résistance d’une énergie négatrice de la vie est bestiale […] je suis vraiment sûr de pouvoir écrire seul, mais le nigaud que je suis ressent avec peur une menace pour la vie »[38]. Nous saisissons en ces lignes que le retour de la jouissance sur un bord, ici incarné par sa mère, constitue une stratégie inconsciente qui permet de tempérer l’angoisse.
Quand certains autistes rejettent la proposition de communication facilitée, il semble que ce soit parce qu’elle ne les décharge pas suffisamment de la responsabilité de leurs écrits. Lena, une fillette de huit ans, demande que le secret de ses textes soit gardé, et refuse finalement d’écrire après avoir confié avoir peur de sa mère et de sa facilitatrice parce qu’elles pourraient « découvrir quelque chose d’elle et de ses secrets ». L’aversion d’Ina à l’égard de l’écriture se met à grandir parce que sa facilitatrice note ce qu’elle écrit : « Je trouve vraiment dégueulasse, note-t-elle, que tu ailles tout raconter partout. »[39] Pour l’une et l’autre l’illusion selon laquelle c’est le double qui écrit n’est pas suffisamment en place, ce qui génère le risque de dévoiler leur intimité et les affects associés.
Quand le sujet autiste est dans une relation transitiviste à son double, il possède le sentiment que le vivant se loge en celui-ci ; c’est ce qui suscite dans un premier temps l’étonnante présence de Carol pour D. Williams. Peu de temps après l’avoir rencontrée, puis perdue, elle la vit entrer dans sa chambre par le miroir, or l’image de Carol était son reflet. « Carol, constata-t-elle, me ressemblait trait pour trait. Seul l’éclat de son regard trahissait son identité. C’était bel et bien Carol que je voyais là. Je me mis à lui parler, et elle m’imita. Cela me mettait en colère et je lui expliquai qu’elle n’avait pas besoin de s’amuser à cela, puisque nous étions seules. Passant outre, elle se mit à faire tout ce que je faisais. » Le phénomène diffère d’une hallucination parce que la vision de Williams reste dans la dépendance de sa propre image spéculaire : « Quand je ne faisais pas face au miroir, observa-t-elle, elle disparaissait, et je me sentais abandonnée. Quand j’avançais droit sur le miroir, elle revenait. »[40] Cette expérience d’un reflet capté met clairement en évidence un positionnement du sujet autiste lors duquel il s’éprouve dans la dépendance d’un double perçu plus vivant que lui.
Les miroitements de l’identité entre le sujet et son double constituent une conséquence de la défense majeure de l’autiste qui le conduit à se couper de la vie affective, pour ne pas souffrir. Rappelons qu’il est caractéristique de l’autiste, selon Williams, de lutter pour une séparation de l’intellect et des émotions[41]. En remettant la dynamique au double, le sujet se décharge de toute responsabilité quant à ses désirs. À cet égard, Bettelheim discerne pertinemment que « l’inversion » effectuée par Joey entre les gens et les choses quant à la source du vivant n’a pas seulement pour but d’éviter d’être puni pour son propre comportement, il s’agit de surcroît d’une conséquence logique « du fait qu’il était mort et que les lampes et les machines vivaient la vie qui s’était éteinte en lui […] Il ne pouvait survivre que s’il n’avait pas d’affects. Comme il lui fallait quand même agir, il devait s’assurer que c’était une chose insensible, une machine, qui agissait »[42].
Longtemps l’autiste essaie de se garder de toute action autonome en se donnant l’illusion que c’est son double qui le détermine. La dépendance dans laquelle il s’imagine être quant à son animation est alors particulièrement frappante.
En des formes discrètes de l’identité transitiviste, il arrive que la dynamique du sujet captée par le double soit moins discernable. Une autiste de haut niveau, telle que J. Léger, qui s’appréhende comme « fantôme mélancolique », en fait état. « Mon attente secrète, confie-t-elle, était qu’on me dise ce qu’il fallait faire, et on me le disait si peu… J’étais dans l’incapacité de demander, l’autre devait savoir ce que je pensais. L’autre avait la même pensée que moi, obligatoirement. » Elle commente avec pertinence : « Allusivement, cela dit aussi le nécessaire effort pour cacher mes pensées. »[43] Dans son enfance, selon ses propres termes, elle « s’habilla » de ses frères et sœurs. En particulier de Patrick, son « double », son « frère-miroir ». « J’avais sous les yeux, précise-t-elle, des petits « moi », dans lesquels je me fondais, avec Patrick, plus particulièrement, mais avec les autres aussi, Marie-Agnès, les jumeaux, Jean-Yves et Marie-Christine. À l’adolescence, je ne vivais encore que d’eux. »[44] « Même en leur absence », elle s’habillait d’eux[45]. Elle explique que ce mécanisme s’ancrait dans un effort « pour faire comme les autres » afin de se protéger de ceux-ci[46]. Il était contemporain d’une impossibilité à dire ce qu’elle aimait ou ce qu’elle n’aimait pas[47]. Bien qu’elle ait fait beaucoup d’efforts pour passer inaperçue, bien qu’elle se soit efforcée d’être « transparente », bien qu’elle ait cherché à se fondre dans ses modèles, elle ne se confondait pas avec eux : elle se sentait « différente », en étant « sauvage, repliée et silencieuse »[48]. Les autistes qui recourent à l’identité dissimulée, nous allons le montrer, peuvent décrire leur fonctionnement de manière assez semblable, et en donner les mêmes justifications, de sorte que la limite entre identités transitivistes et dissimulées n’est pas tranchée, ce qui autorise des glissements et des formes de passages.
Une identité dissimulée
La plupart des autistes éprouvent initialement une certaine vacuité de leur identité, mais tous n’y remédient pas par une identité transitiviste ; certains cherchent à compenser ce vide en s’accrochant à des modèles, avec lesquels ils ne se confondent pas, mais derrière lesquels ils ont conscience de se dissimuler. Ils se terrent alors « derrière des façades »[49], selon l’expression de Williams, lesquelles sont désignées tantôt comme des « compagnons imaginaires », tantôt comme des « personnalités de substitution »[50], voire comme des « masques »[51] , des « visages », des « personnages » ou supportant une « imposture ». L’autiste s’emploie alors, selon la belle formule d’Horiot, « à mettre un masque sur sa différence »[52], en élaborant une scission imaginaire entre un « moi véritable » caché et des masques sociaux. Ces « stratégies d’abnégation »[53] sont déployées pour paraître normal, mais elles sont douloureusement vécues, s’accompagnant du sentiment d’être coupé du monde. Elles sont solidaires d’un manque de connexion entre les affects et les actes. C’est « à défaut d’un sens de [son] corps interne », explique Williams, que le sujet apprend « à faire semblant et à jouer la comédie »[54]. Ian, son premier mari, pouvait décrire les différents « visages » qu’il incarnait selon les circonstances. « Richard », perfectionniste, dominateur, opiniâtre et gestionnaire, était le nom d’un vendeur sordide qu’il avait connu. « Nigel » le comédien se présentait cool et décontracté, son nom provenait de celui d’un pilote automobile. « Chris » incarnait le rôle de l’amant romantique. « Homeboy » était le « visage » familial, celui du « fils chéri » d’un « papa aimant ». « Simon », effondré, instable, mélodramatique, victime, était le nom donné à quelqu’un que Ian avait connu et dont le monde s’était écroulé[55]. Quand le phénomène est porté au plus haut, quand l’autiste, dans un moment d’angoisse, passe rapidement d’un « visage » à un autre, il donne à l’interlocuteur le sentiment d’être « une poupée parlante commandée par un marionnettiste fantasmagorique »[56].
Un autre autiste, Olivier, s’était créé une personnalité de substitution, Bettina, copiée à l’origine sur Boy Georges. « En prenant ses traits, commente Williams, Olivier échappait à sa propre personnalité inexpressive et atrophiée. En étant le chanteur, il disposait enfin d’un sujet « du monde » pour parler et se faire des amis. Sous le maquillage et les accoutrements choquants, il surmontait sa peur des lieux et des gens inconnus. En consacrant toute son énergie à être Bettina, il pouvait être n’importe qui, tant qu’il n’était pas lui-même. […] Bettina avait une expression verbale aux dépens de la propre expression d’Olivier. Elle s’impliquait aux dépens de l’implication de son moi. Elle était acceptée aux dépens d’un appauvrissement de ses émotions. » Bettina n’était pas une identité mimétique par laquelle il aurait été capté : il restait caché derrière celle-ci, puisqu’il pouvait lui arriver d’incarner une autre personnalité, masculine celle-là, « son moi intellectuel, le dépôt de toutes choses pratiques, logiques, responsables, et apprises automatiquement plutôt qu’empiriquement, il l’avait appelé le Directeur »[57].
Il est bien connu que D. Williams s’est longuement effacée sous les personnalités de Carol et de Willie. « Personne, affirme-t-elle, ne devait entrer en relation avec Donna, mais uniquement avec les deux personnages que j’acceptais de donner en pâture : Willie, qui incarnait toute ma fureur et ma combativité, et Carol, cette coquille vide d’émotions qui figurait ma sociabilité et mon aptitude à tenir différents rôles. »[58] Ces créatures nées de son imagination, étaient des protecteurs de « l’être sans défense »[59]. Elles avaient été mises en place pour acquérir une façade d’adaptation sociale. Williams laissait ses personnages jouer leur rôle et les gens leur donner la réplique, mais cela s’accompagnaient d’un vécu selon lequel elle avait la sensation d’être son « propre fantôme » surveillant ses faits et gestes[60]. Elle se dissimulait derrière ses compagnons imaginaires, mais ne se confondait pas avec eux : « comme Willie, confiait-elle, je me sentais mâle, comme Carol je me sentais femme, comme moi-même je me sentais neutre »[61]. Elle souligne que ses « paravents » lui permettaient de dire ce qu’elle pensait, mais pas ce qu’elle ressentait[62] ; ce qui met clairement en évidence la source qu’ils trouvent dans le travail du sujet pour se couper de ses affects.
L’évolution de Joey à l’Ecole orthogénique de Chicago se manifesta par un désinvestissement progressif de sa machine-auto accompagné par la recherche de modèles plus humains. Ce fut d’abord un garçon un peu plus âgé, Kenrad, encore conçu comme « une puissante lampe » ; ensuite le « papoose du Connecticut », enclos dans un verre protecteur, qui restait branché à une électricité sans fil ; puis Mitchell, un autre pensionnaire de l’Ecole, dont il tirait toujours un peu de force sous forme d’énergie électrique. Le processus accompagné d’un fantasme d’auto-engendrement se poursuivit jusqu’à la formation d’un compagnon imaginaire, nommé Valvus, « l’auto-contrôlé, un alter ego extérieur à lui-même, un dispositif de sécurité », enfin extrait du monde des machines. Ce n’était pas encore une « vraie personnalité », constata Bettelheim, mais « une structure extériorisée, pour une personnalité intérieure », grâce à elle il put commencer à « oser vivre des expériences émotionnelles correctrices »[63]. De même que Willie et Carol, tout indique que Valvus disparut par introjection, quand le positionnement du sujet lui permit d’intégrer cette formation moïque.
L’identité dissimulée est restée plus discrète chez Grandin, néanmoins dans son enfance elle eut « un alter ego », Bisban, issu d’une série télévisée, elle voulait « contrôler les choses » comme lui ; puis elle fit d’Alfred Costello, un garçon de sa classe, un coquin et un gros méchant, le héros de ses histoires[64]. À l’adolescence, elle le fit revenir, en tant que « personnage imaginaire » et il signa plusieurs de ses lettres à la direction de son école[65]. À l’âge adulte, elle ne fait pas mystère de son identification à une vache. « Mon lien avec les animaux d’élevage remonte à l’époque où je me suis aperçue pour la première fois que la machine à serrer pouvait calmer mon anxiété. Depuis, je regarde le monde avec leurs yeux. »[66] Elle eut l’idée d’intituler son second ouvrage Le point de vue d’une vache, un animal présenté comme son alter ego, qu’elle entoure de son bras et auquel elle s’accole sur la photo qui figure en page de couverture.
L’identité dissimulée est affirmée haut et fort par Horiot sous la forme d’une « imposture » protectrice. « Tromper les autres pour qu’ils ne vous tuent pas. Ainsi va ma vie. Comédien. »[67] Dès lors, afin de ne pas s’intégrer, il s’adapte en portant un masque. Grâce à quoi, affirme-t-il, « je suis devenu insoupçonnable »[68]. Il intitule son second ouvrage Carnet d’un imposteur. Il justifie un tel positionnement par la volonté de se « protéger du monde et de prendre part à la comédie sociale »[69]. Une autiste sévère telle que Babouillec fait état dans ses écrits d’un positionnement du même ordre, quoique plus radical : « Vouloir coûte que coûte asservir tous les naufragés à la cause du système social en place, affirme-t-elle, équivaut à résilier notre identité profonde. »[70] L’un et l’autre indiquent que le retrait de cette dernière s’accompagne d’une mise à l’écart des affects. Babouillec constate « le silence est partout dans mon corps »[71]; tandis que Horiot note « les sentiments sont une prison. Mieux vaut en être dépourvu. J’y travaille à chaque seconde. Les sentiments m’encombrent, me blessent et me perdent »[72]. S’avancer masqué ne peut que contribuer au travail pour les gommer et les enfouir. L’attrait persistant de l’identité dissimulée, qui conduit Horiot jusqu’à son éloge, tient probablement à ce qu’il est parvenu à s’en servir pour une valorisation sociale reconnue, en la faisant concourir à sa profession. Lui-même semble bien le discerner : « Je suis avant tout devenu comédien par paresse. Ayant dû mettre en scène et jouer un rôle de composition pour survivre, devenir un professionnel du spectacle se révélait la suite logique. »[73]
Williams s’était elle aussi essayée à la pratique théâtrale, en montant sur scène dans le rôle de Carol, « avec un numéro burlesque et son sourire pour tout arsenal. Les rires vinrent facilement, relate-t-elle. On voyait sur scène une fille parlant avec candeur et désinvolture de l’avalanche des déboires tragiques qui avaient jalonné sa vie, sans la moindre compassion pour elle-même. Qui dans l’assistance aurait pu imaginer que Carol n’avait tout simplement pas le sentiment de sa propre existence ? »[74].
À la différence de Horiot, Williams ne fait pas l’éloge de l’identité dissimulée, elle a toujours considéré qu’il s’agissait d’une « mutilation psychique », de sorte qu’elle a longuement lutté pour faire disparaître ses doubles, et pour parvenir à habiter son corps, en étant présente à ses affects.
L’identité dissimulée ne s’abrite pas toujours derrière une façade. Dans certaines formes sévères du spectre autistique, elle est revendiquée comme « une identité profonde » inatteignable. « Je suis murée dans mon mode du savoir-être ailleurs, observe Babouillec, et je vis un bonheur au-delà des limites dans mon onirique transplantation mentale […] Je proclame un amour sans faille à ce vide existentiel qui m’appartient »[75]. À l’autre extrémité du spectre, l’identité dissimulée connaît une forme atténuée quand l’autiste ne cherche pas à se construire une ou plusieurs personnalités de substitution, mais se contente de donner une certaine consistance à sa vacuité en s’appuyant sur des modèles. Elle prend alors la forme peu discernable d’un conformisme social. Gerland nommait cela un fonctionnement de « caméléon » ou une « singerie »[76] qui la faisait souffrir « d’une sorte d’excès de normalité résultant d’un défaut d’impulsions internes gênantes et de [sa] volonté de devenir quelqu’un de normal »[77]. L’identité dissimulée s’avère plus discrète encore chez Willey, parce qu’elle n’y recourait que lorsque « tout le reste échouait ». Mais alors elle utilisait une « astuce consistant à « entrer dans la peau de », qui n’était, affirme-t-elle, rien de plus qu’une forme sophistiquée d’écholalie. Comme un mime professionnel, je savais prendre la personnalité de quelqu’un d’autre aussi facilement que d’autres gens prennent froid. […] Il était tout simplement plus efficace que je réutilise les types de comportement des autres personnes, plutôt que de tenter de créer un comportement qui me serait propre »[78].
L’identité transitiviste s’invite parfois dans la cure, faisant alors de l’analyste un double porteur du vivant ; de même l’identité dissimulée y prend régulièrement une place quand l’autiste y introduit des doubles sous forme de figurines, d’images, de compagnons imaginaires, etc, afin d’exprimer par leur truchement ses affects et ses pensées. Il convient initialement de les accueillir comme tels et non de souligner qu’ils permettent une expression détournée. Les modifications du positionnement du sujet se manifestent par l’évolution des personnages. Un long travail est nécessaire pour qu’ils disparaissent et s’introjectent.
Le gel du S1 et celui des affects
Pourquoi l’autiste éprouve-t-il une telle propension à se brancher sur une source du vivant localisée en-dehors de lui, dans un humain, dans un objet ou dans un animal ? Les exemples précédents convergent pour mettre en évidence que le phénomène trouve sa racine dans un gel des affects. Rappelons que s’avère largement confirmée par les autistes eux-mêmes l’opinion de Bettelheim selon laquelle « l’enfant autistique est […] un enfant qui empêche ses affects d’être sentis, de devenir conscients, et qui ainsi s’empêche d’agir en fonction de ses affects »[79]. « Fondamentalement, affirme Williams, la solution que j’avais trouvée pour réduire la surcharge affective et permettre ainsi ma propre expression consistait à combattre pour et non pas contre la séparation entre mon intellect et mes émotions. »[80] À l’encontre d’une opinion répandue, elle considère ainsi qu’il y a dans l’autisme « une volonté de se déconnecter, non pas de se brancher »[81]. Les autistes, ajoute-t-elle, sont « des êtres humains secrètement piégés dans une affectivité mutilée »[82]. Selon B. Sellin, l’autisme est « un dérèglement tel qu’il ne fut jamais correctement décrit, c’est la coupure de l’homme des premières expériences simples comme des expériences essentielles et importantes par exemple pleurer »[83]. Une autiste de haut niveau, J. March, témoigne: « J’avais appris à me préserver en m’éloignant émotionnellement des autres. Je me rendis compte que cette distance que je mettais entre moi et les autres n’était rien d’autre qu’une carapace protectrice : les sentiments que je pouvais éprouver m’envahissaient jusqu’à devenir douloureux et insupportables. »[84] Il en résulte qu’elle n’avait « aucune envie de se lier d’amitié avec qui que ce soit, sauf si ce quelqu’un s’avérait être un chien ou un chat »[85]. Grandin corrobore ces indications : « quelque chose, écrit-elle, s’est passé au cours du processus qui a déconnecté le « fil » dans le cerveau qui rattache un enfant à sa mère et aux autres êtres humains qui lui offrent leur affection. Ce n’est qu’au moment où j’ai été assez grande et assez compétente pour construire la machine à serrer que la connexion a été réparée »[86]. Le travail initial de l’autiste pour se couper des affects et des souffrances qu’ils peuvent susciter peut aller jusqu’à l’exigence de Joey à l’adresse de ses éducateurs : « Il ne faut plus m’aimer, il faut que cela cesse. »[87] Kanner s’est montré d’emblée perspicace en considérant que l’autisme consistait fondamentalement en un trouble du contact affectif. Asperger discernait lui aussi qu’avec leurs « sentiments limités », les autistes ne « savent que faire de l’affection qu’on leur porte et la reçoive dans l’incompréhension et même la repoussent »[88]. Pourquoi agissent-ils ainsi ? Pourquoi tentent-ils, avec des succès inégaux, de geler leurs affects ? Barron témoigne de leur vécu : « les émotions font figure de monstre effroyable aux yeux de tous ces enfants avec autisme qui sont incapables de les contrôler »[89]. Ce que confirme Deshays : « Fragilisée par les tempêtes émotionnelles, il est vraiment exténuant de me destituer de mon armure. »[90] Il lui « urge de relier son esprit à son corps »[91], mais elle n’y parvient pas.
Ces multiples indications convergentes donnent un début de réponse à la question que se pose Lacan en 1975 : il s’agit de savoir, observe-t-il à propos de l’autiste, pourquoi y a-t-il chez lui quelque chose « qui se gèle » ?[92] Le constat du gel des affects constitue un élément de réponse. Néanmoins les indications de Lacan cherchent ordinairement à se dégager de la symptomatologie pour viser la structure. Qu’est-ce qui dans le fonctionnement subjectif commande ce gel des affects ? L’indication de Lacan oriente vers un gel du S1, le signifiant-maître, la pierre du vivant, ce qui prend en charge la jouissance du sujet, rendant possible sa représentation auprès des autres signifiants, et par là même son expression verbale, symptomatique et corporelle. Il ne s’agit pas d’une carence, mais bien d’un gel, parce que, même dans les formes les plus sévères d’autisme, la notion de « Soi étouffé, qui fonctionne de manière minimale »[93], et « qui s’affirme dans la négation »[94], dégagée par Bettelheim, apparaît fondée. L’intuition d’un gel du S1 était déjà esquissée par Lacan quand, se penchant sur l’observation de M. Klein concernant Dick, il constatait la présence d’un sujet « qui est là et qui, littéralement, ne répond pas »[95], néanmoins « maître du langage » et capable de mettre en jeu « une symbolisation anticipée, figée »[96]. Le gel réfère à une présence, qui n’est pas pleinement active, mais qui laisse la possibilité d’un dégel, lequel, nous le verrons, est attesté par les autistes de haut niveau.
Pourquoi supposer un « Soi minimal » même chez les autistes les plus coupés du vivant ? Parce qu’ils sont capables de se montrer très actifs quand il s’agit de se protéger de ce qui les angoisse. Une enfant telle que Laurie, une poupée flasque, inerte, retirée du monde, repliée sur elle-même, pouvait cependant, au moindre mouvement pour l’aider, se ruer furieusement en avant, se jeter à la gorge du soignant et tenter de l’étrangler[97]. « Alors que bon nombre de ces enfants, lorsqu’ils arrivent chez nous, note Bettelheim, semblent entièrement passifs, inertes, presque morts, leur résistance à l’environnement est la plus puissante que j’aie jamais rencontrée […] En fait, toute leur énergie est canalisée vers une seule défense : l’oblitération de tout stimulus, intérieur et extérieur, dans le but d’éviter toute douleur supplémentaire et l’impulsion à agir. »[98] Leur évitement de l’autre, leur recherche d’immuabilité, leurs stéréotypies, leur choix d’un objet autistique, et même leur coupure à l’égard des affects résultent d’une activité forte et persistante qui témoigne d’un travail subjectif soutenu.
Une identification symbolique, ébauchée, anticipée, figée, paraît très tôt discernable chez les autistes. Elle se manifeste de manière éphémère et peu affirmée dans les vocalisations involontaires, dans l’expression d’affects de rejet de l’autre, ainsi que dans les choix de mesure de défenses. Ces expressions du sujet ne sont pas copiées sur le double, et ne se présentent pas comme émanant de ce dernier. Elles se supportent d’une différence invisible. La fonction unaire du signifiant-maître est très tôt agissante et discernable ; mais il peine à représenter la jouissance du sujet auprès des autres signifiants.
Dans des formes un peu moins sévères d’autisme, le gel des affects commence à s’amenuiser en devenant sélectif. L’amour, la gentillesse, l’empathie, etc, les sentiments qui peuvent induire à entrer en interactions avec l’autre, ceux-là sont les plus fortement prohibés. À cet égard, l’absence de théorie de l’esprit, considérée comme le déficit cognitif majeur des autistes[99], serait sans doute à considérer sous l’angle d’un blocage de l’un des affects de contact, l’empathie[100]. En revanche, le dégoût ou la haine sont beaucoup moins réprimés. Un enfant qui rejette ses affects dans son bord, tel que Joey, peut affirmer : « Si mes parents étaient ici, je les tuerais […] S’ils étaient ici et si j’avais un ventilateur, je leur mettrais les doigts dedans et je les couperais en morceaux »[101]. Dibs peut hurler sur son père : « je te hais ! Je te hais ! » et chercher à le frapper[102]. Il peut aussi exprimer son souhait de se débarrasser de sa sœur[103]. L’indication d’Asperger sur la méchanceté des autistes[104], de prime abord surprenante, en raison de leur caractère généralement peu agressif, trouve là sa place : il leur est plus aisé d’exprimer et d’agir des sentiments négatifs que d’oser des marques d’affection. Les affects qui conduisent à tenir l’autre à distance, ceux qui ne présentent pas le danger d’induire des échanges avec des personnes, les affects de rejet, ceux-là se dégèlent beaucoup plus tôt.
Les sentiments d’amour eux-mêmes peuvent commencer à trouver à s’exprimer quand ils se portent sur un objet, un lieu ou un animal. Nombre d’autistes témoignent de rencontres similaires à celle faite par J. March avec un chat. « Quelque chose de bouleversant se produisit en moi, relate-t-elle, une connexion inexplicable, comme si j’avais vécu ces neuf années en attendant de croiser ce regard. J’étais incapable, en tant qu’enfant autiste, de soutenir le regard des autres, mais celui de Shara était si intense, si empli d’amour, qu’il m’était impossible d’en détourner les yeux. Et, pour la première fois de toute mon existence, face à cette petite chose poilue, mon cœur se mit à déborder d’amour et de bonheur – un amour que je ne réservais qu’à cette chatte et à personne d’autre… »[105] Grandin fait remarquer que « Hans Asperger a observé que les autistes étaient très attachés aux lieux et que les enfants autistes souffraient plus longtemps du mal du pays que les enfants normaux. Il y a un lien affectif aux objets et aux habitudes de la maison. Peut-être est-ce une façon de compenser l’absence de liens affectifs forts avec autrui »[106].
Les approches cognitivistes récusent la thèse selon laquelle l’autisme s’ancrerait dans un gel des affects en objectant que les autistes ne sont pas vraiment coupés de ceux-ci. Le constat est exact, mais l’argument n’est pas pertinent. L’autisme, comme l’a fort bien discerné Kanner, réside en un trouble non pas de l’ensemble des affects, mais principalement de certains d’entre eux, ceux qui incitent au « contact ». Dans les formes les plus sévères, l’autiste n’investit pas même son corps, le gel est radical ; mais dès qu’il progresse sur le spectre, le gel devient sélectif. Ce ne sont pas tous les affects qui sont prohibés, mais ceux qui inciteraient à nouer des liens avec autrui. Seules quelques personnes font exceptions quand l’autiste les considère comme des doubles et se confond avec elles dans une relation fusionnelle. C’est l’échange avec autrui qui angoisse l’autiste, la fusion permet de l’éviter.
Que l’étude du « domaine émotionnel » ait été jusqu’alors trop négligé par les chercheurs cognitivistes est une idée qui fait parmi eux son chemin. Ils constatent la fréquence d’une « dérégulation des émotions » dans l’autisme, en s’empressant d’ajouter qu’elle n’est pas toujours présente[107]. À juste titre, mais dérégulation des émotions n’est pas blocage des affects, celui-ci est parfois compatible avec une apathie sereine de sujets discrets, tenant un discours factuel et constant, et dont les prises d’initiatives sont quasi-nulles. Leurs affects restent mesurés, mais la dynamique subjective est éteinte. Dans son enfance, Tammet était « trop gentil, trop calme, trop conciliant »[108] et « prenait rarement l’initiative de parler »[109].
Le gel du S1 donne longtemps au sujet le sentiment d’être coupé de ses affects, de sorte que lorsqu’il cherche à les intégrer il lui faut d’abord passer par une recherche externe de leur compréhension. « Le cerveau, affirme Harrisson, une autiste de haut niveau, ne reçoit pas les messages du corps, même si le cerveau et le corps font leur travail chacun de leur côté »[110]. Elle souligne que « les autistes ont des émotions mais ils doivent importer le sens de leurs émotions à partir de l’extérieur pour y avoir accès consciemment »[111]. Il en résulte que les affects sont appris de manière intellectuelle. « Je veux que vous me montriez des émotions, demande D. Williams à une famille d’amis. […] Grâce à des lignes et à des schémas, je vis l’échelle courroucée, l’échelle heureuse et l’échelle triste. Sur ces lignes, ils marquèrent les variantes inférieures et supérieures : fatigué, occupé, énervé, agité, agacé, courroucé et furieux. Ils essayèrent de me montrer comment chaque état pouvait se traduire sur un visage ou se refléter dans des actions »[112]. Les métaphores de l’ordinateur ou celle du robot sont souvent utilisées par les autistes eux-mêmes pour décrire leur fonctionnement : « J’étais un ordinateur à la commande lente, tant interne qu’externe, écrit Williams. Je savais faire des choses sans toutefois les ressentir. »[113] Rapprocher la pensée de l’autiste du travail de l’ordinateur souligne le gel de son ancrage dans le vivant. Asperger avait déjà constaté ce phénomène en constatant que le savoir de l’autiste se développe dans un vide affectif. « Ces personnes sont, si on s’exprime crûment, des automates de l’intelligence, affirmait-il en 1944. C’est par l’intellect que se fait l’adaptation sociale chez eux. Il faut tout leur expliquer, tout leur énumérer (ce qui serait une faute grave d’éducation chez les enfants normaux) ; ils doivent apprendre les tâches journalières comme des devoirs d’école et les exécuter systématiquement. »[114]
Quand la source du vivant semble être externe, le corps est peu habité. « Le Silence est partout dans mon corps, affirme Babouillec. Shut dans ma bouche, shut dans mes mains, dans mes oreilles, mes yeux, ma peau. Shut… […] Par peur, par pudeur, rien ne bouge dans ce corps, mon corps, nos corps du Silence. »[115] Mon corps, ajoute-t-elle, « s’exécute comme un pantin sans ficelles livré à lui-même, inactivé en mode attraction terrestre »[116]. « Je perçois pas réellement vivre »[117] corrobore Sellin. Dans les formes les plus sévères d’autisme, quand les enfants autistiques « ne manifestent aucune réaction, quelle qu’elle soit, à la défécation, nous devons en conclure, constate Bettelheim, que le processus d’aliénation par rapport à leurs sensations a atteint de telles proportions qu’ils ne sentent même pas ce qui se passe dans leur corps. Cette notion est corroborée par leur insensibilité à la douleur »[118]. Annihiler tous les ressentis corporels constitue la manière la plus radicale d’opérer un gel de la vie affective. Une courte vignette clinique permet de saisir que l’autiste le discerne. Contrarié par l’attitude de l’une de ses éducatrices, Joey ne put se retenir de la frapper en hurlant. Peu après, relate Bettelheim, très angoissé d’avoir laissé ainsi s’exprimer un affect, « il ne bougea plus, vidé de tout sentiment ». Il s’en prit alors à son corps. « Il faut que je gèle », dit-il. « Mes bras et mes jambes doivent se changer en glace », puis il essaya de les arracher de son corps[119]. La tension émotionnelle, selon Williams, peut aller jusqu’à un vécu bien réel d’être rendu sourd, muet et aveugle[120]. En ce qui la concerne, l’autisme lui fait ressentir parfois tout simultanément sans savoir ce qu’elle ressent, ou bien il la coupe de toutes sensations[121]. Son premier mari, Ian, autiste comme elle, lui confia que les sensations de faim, de douleur, de fatigue ou de froid lui échappaient, ou qu’il ne ressentait que les plus extrêmes. « Les messages de son corps étaient très incohérents et faibles. »[122]
Même chez des autistes presque invisibles, en raison d’une bonne adaptation à la vie sociale, même chez ceux-là, les constats de la difficulté du sujet à habiter son corps restent présents. « Non seulement je peinais à exprimer mes sentiments, affirme J. March, mais en plus, la plupart du temps, j’étais incapable de les identifier. »[123] « J’ai encore des difficultés à accepter mes émotions », confie Grandin, de peur qu’elles m’engloutissent[124].
Le corps n’étant pas habité de l’intérieur, il est appréhendé à partir de son image, de sorte qu’il est volontiers perçu comme une surface externe, donnant à Gerland le sentiment d’être « une contrefaçon des autres gens, une sorte de photocopie ratée », fondée sur l’imitation des autres[125]. En raison de ce qu’elle nomme « des cassures de synapses » qui la coupent de « la réelle information corporelle », Deshays écrit : « Je vois mon corps en spectatrice et je l’imagine comme une documentation détaillée sur internet, tant pour moi-même que pour recevoir les informations extérieures à moi-même. »[126] Williams rapporte que son corps fut longtemps appréhendé comme une simple série de textures que ses mains connaissaient, une image que ses yeux connaissaient, une série de sons que ses oreilles connaissaient et une association de mouvements[127]. Elle ressentait la sensation de son corps externe en regardant et en écoutant où il se situait[128]. « J’avais toujours eu l’impression d’avoir la taille des personnes à proximité, précise-t-elle. Je mesure un mètre cinquante-six ; elles étaient donc généralement plus grandes que moi. Quand je me trouvais avec des gens de petite taille, je supposais être petite ; avec des personnes grandes, je me pensais grande. À défaut d’un sens de mon corps interne, elles me servaient de miroir, de « carte » extérieure. »[129] Quand l’identité tient ainsi sur une image, le déguisement peut devenir une épreuve inquiétante, parfois dès lors fortement refusée ; tandis qu’il n’est pas anodin de se laisser « prendre » en photo, ni de céder son portrait. Williams pouvait avoir l’impression qu’avec une photo, on s’emparait d’elle[130].
Le gel du S1 suscite une défaillance de l’expérience interne, se traduisant par une difficulté du sujet à prendre possession de son corps et à s’exprimer en se fondant sur ses affects. Le vivant ainsi coupé du corps fait longtemps retour dans un bord qui semble animer le sujet quand il se branche sur lui. Il arrive cependant que certains autistes parviennent à opérer une mutation subjective décisive qui leur permet une introjection plus ou moins accomplie du vivant.
L’identité assumée
Les identités imaginaires, transitivistes et/ou dissimulées, corrélées à un double, décrites précédemment, sont ce que Williams nomme « la stratégie du miroir ». Quand elle commence à s’en dégager, elle constate qu’elle « avait été une excellente stratégie pour rompre le repli, apprendre la sociabilité, lutter contre l’isolement, élaborer un langage et prendre conscience de [son] corps »[131] ; cependant prendre conscience de celui-ci n’est pas l’habiter. Or la stratégie du miroir écarte le sujet du vivant. Elle discerne avoir été « trop loin » dans l’usage de ce recours aliénant à un bord. Dès lors, il lui apparaît qu’elle doit quitter la « dépendance » à son reflet et à ses compagnons imaginaires si elle veut vraiment acquérir « la permanence de l’intimité, du toucher, de la conscience interne du corps et le partager »[132]. Pour ne plus éprouver le vécu de « mutilation psychique » suscité par la localisation de la jouissance sur un bord externe, elle comprit qu’elle devait tuer ses doubles. Elle devait cesser de recourir à leur « protection anesthésiante »[133] qui lui permettait de « supprimer » les affects[134]. Elle procéda donc à leurs meurtres symboliques. En s’effaçant, constata-t-elle, ils n’ont pas totalement disparus : ils se sont introjectés. « Je ne les ai pas rejetés, ils se sont désintégrés (ou réintégrés ?). J’ai accepté leurs capacités… »[135] Elle précisa même que « l’ancienne Carol » s’était intégrée à Donna Williams[136]. Les meurtres symboliques de Willie et Carol ne suffirent pas immédiatement pour les faire disparaître. Ils ne furent que l’indice d’une mutation subjective en cours. À la suite de leur dissipation, Williams développa lentement la faculté de parler personnellement « en maintenant intact le sens de son moi et de ses émotions »[137]. Elle apprit à « sentir une appartenance et non plus seulement à faire semblant »[138]. Elle discerna qu’un défilé infranchissable s’était creusé entre « son moi interne » et ses affects, et qu’elle était en train de mettre en place un pont invisible pour l’enjamber en se raccordant à son corps[139]. Elle constata que moins elle se reliait au miroir, plus consistant devenait son sens du corps interne. « J’avais trop compté sur l’image corporelle externe au détriment du développement du sens corporel interne. »[140] Elle découvrit alors « une manière de vivre ce moi » auquel elle avait été « normalement sourde, aveugle et morte »[141]. La mutation est spectaculaire quand elle relate l’émergence d’une appréhension interne de son corps. En posant sa main sur son bras, elle constate ne plus sentir celui-ci de l’extérieur, « comme avant, mais de l’intérieur ». Elle s’étonne que soudain son bras ait perçu sa main de l’intérieur. « « Bras », écrit-elle, n’était plus qu’une simple texture : il prenait sens de l’intérieur. »[142] Cette possession d’elle-même lui apparaît la sécurité la plus tangible qu’elle ait jamais connue[143]. Elle ne s’était « jamais sentie aussi totalement vivante »[144].
Le désinvestissement du bord qui s’accompagne d’une introjection du vivant et d’une assomption de l’identité caractérise le positionnement subjectif de l’autiste de haut niveau.C’est celui de Jacqueline Léger. Elle qui ne pouvait dire ce qu’elle aimait ou n’aimait pas dans son enfance, elle qui reniait les besoins de son corps à l’adolescence, relate que, vers le terme de sa seconde analyse, une mutation décisive se produisit pour elle. Le dégel des affects et l’assomption de l’identité, elle le nomme une « psychisation du corps ». Elle indique que l’écriture de son livre contribua à cette nouvelle assise subjective : « j’étais rassurée plus consciente que corps et psyché ne faisaient qu’un. Je faisais le geste de mettre mes mains l’une dans l’autre très serrées. Cette union n’était pas encore tout à fait opérée en moi auparavant. C’est surtout letravail sur le rêve de « peau de chat » qui m’a fait faire cette évolution […] Ce rêve, dans sa dimension érotique et le fait même d’en rêver dit la psychisation du corps. Il se peut que ce soit le plus important de mon livre »[145]. C’est souvent, note-t-elle par ailleurs, à partir d’une prise de risque de vivre que l’on saisit quelque chose de l’orée[146].
Dans l’après-coup d’une séparation avec une thérapeute « décevante », à la suite d’une cure de quatre ans, Gerland relate une nette modification de sa position subjective qui lui semble s’être produite progressivement. « Quelque chose s’était déclenché en moi, faisant que je pouvais parler automatiquement. Alors qu’avant, je n’y arrivais jamais, à présent, je n’avais plus besoin de penser à tout ce que j’allais dire, de l’écrire mentalement : la parole et la pensée allaient de pair spontanément et je n’avais plus besoin de donner à la voix l’ordre de dire ce que je voulais dire. » Désormais, elle pouvait expliquer ce qu’elle pensait ou ressentait d’une « toute autre manière que précédemment »[147]. Elle témoigne ainsi qu’une coupure entre la jouissance et l’intellect a cessé de fonctionner. Le vivant s’insère dans la pensée, conférant à celle-ci un automatisme, une spontanéité, qui contraste avec l’effort antérieur pour mobiliser parcimonieusement la voix. C’est l’interruption du combat pour la séparation de l’intellect et des affects qui donne alors à Gerland le sentiment de devenir, selon le titre de son ouvrage, Une personne à part entière. Au terme du parcours relaté en ce livre, elle devient une autiste de haut niveau, position subjective qui lui permet alors d’affirmer : « je me débrouille seule en tout »[148].
Quand, trois ans avoir quitté l’Ecole orthogénique, Joey affirme lui aussi être devenu capable de se débrouiller tout seul, quand il considère qu’il va bientôt pouvoir trouver un travail et gagner son propre argent, il souligne « un facteur important », celui d’être vraiment devenu capable de parler aux gens de ses sentiments, il précise qu’il n’a plus besoin d’attendre, il peut le faire dès qu’il commence à le ressentir[149].
Un autre autiste de haut niveau, Jim Sinclair, témoigne d’une mutation subjective caractérisée par la prise de contact avec ses affects : « J’ai finalement appris à parler des sentiments lorsque j’avais vingt-cinq ans, affirme-t-il. […] Une fois que j’ai réalisé que les mots pouvaient être utilisés pour décrire des expériences subjectives, j’ai démarré de la même manière que je l’avais fait à douze ans avec les mots-idées. »[150] Soulignons l’émergence distincte de la langue des « mots-idées », c’est-à-dire la langue de signes, peu connectée aux affects[151], bien maniée intellectuellement par les autistes d’Asperger ; et la langue en prise avec les affects, ancrée dans le signifiant, propre aux autistes de haut niveau, qui ne prédomine sur la précédente que beaucoup plus tard. Une nostalgie de la langue factuelle persiste chez les autistes de haut niveau, « je n’aime pas, note Tammet, quand les mêmes mots peuvent renvoyer à deux choses totalement différentes »[152], pourtant se produit chez eux une ouverture à l’ambiguïté signifiante. En atteste pour certains l’accès à l’humour et à la poésie, ainsi qu’à une compréhension du mensonge et de l’hypocrisie. Quand, après son « éclosion »[153], Barron commença à pouvoir prendre des décisions tout seul[154], sa mère constata que se développait conjointement son sens de l’humour. « Il devenait vraiment amusant, écrit-elle, parfois sarcastique, allant jusqu’à se moquer de lui-même. Nous commencions à pouvoir plaisanter à ses dépens et il nous rendait la pareille »[155]. À l’âge adulte, Tammet a développé un goût pour la poésie et il se considère maintenant en mesure d’animer « les mots avec son imagination » de sorte que « chaque mot est un oiseau à qui l’on apprend à chanter »[156]. Il indique même avec beaucoup de finesse que la poésie commence avec l’usage du signifiant propre à la parole habitée : « Pour pouvoir dire notre propre vécu, analyse-t-il, il nous faut de la poésie. Sans poésie on est muet. On peut répéter des choses, comme moi je faisais à dix ans, des dialogues dans les romans, comme un perroquet qui ne comprend pas le sens de ce qu’il dit, mais à partir du moment où on comprend le sens de ce qui est dit […] la parole devient forcément multiple. »[157] L’énonciation des autistes de haut niveau laisse supposer que progressivement la langue de signifiants s’est insérée dans la langue de signes jusqu’à la supplanter en grande partie.
L’intégration de la vie affective opérée par Tammet ne fut pas spectaculaire, cependant, en se retournant sur son passé, il constata qu’elle se fit progressivement : « Je n’ai pas toujours ressenti un lien émotionnel fort avec mes parents, mes frères ou mes sœurs en grandissant et je n’en ai pas ressenti un manque particulier : ils ne faisaient pas partie de mon monde, tout simplement. Les choses sont différentes aujourd’hui », confie-t-il quand il écrit Je suis né un jour bleu, âgé de plus de vingt-cinq ans. « Je pense que tomber amoureux m’a permis de me rapprocher de mes propres sentiments, pas seulement pour Neil[158] mais pour ma famille et mes amis, et de les accepter »[159]. Les sentiments ne sont plus pour lui des sensations confuses, il s’en est « rapproché », il ne répugne plus à les assumer.
Avoir accompliun désinvestissement de la jouissance attachée au bord constitue une des caractéristiques de l’autiste de haut niveau. Grandin y est parvenue par des coupures réitérées opérées dans la jouissance fusionnelle que lui procurait son bord machinique, dans lequel elle avait le sentiment « d’être portée, câlinée, bercée doucement dans les bras de Maman »[160]. Ce n’est que tardivement, en 2010, qu’elle mentionne que sa machine s’est cassée et qu’elle ne l’a pas réparée. « Maintenant, dit-elle, c’est avec les gens que je fais des câlins »[161], indiquant ainsi que « la porte coulissante en verre qui la séparait du monde de l’amour et de la compréhension humaine »[162] est parvenue à s’ouvrir.
Cependant Grandin affirme fortement par ailleurs que sa réflexion reste coupée de ses affects. Il convient de minimiser cette affirmation pour une part illusoire. En fait il n’est pas nécessaire d’être autiste pour se bercer de l’illusion que nos décisions sont purement rationnelles. Or, Damasio l’a solidement démontré, en soulignant « l’erreur de Descartes », tout exercice du jugement implique une participation de la vie affective. À l’encontre de l’intuition, l’affaiblissement de la capacité de ressentir des émotions s’avère associée à une déficience dans le domaine de la prise de décision[163]. Le neurologue l’a démontré à partir de sa clinique ; la grande passivité, caractéristique des formes sévères de l’autisme, semble le confirmer, sachant qu’elle est corrélée à un gel des affects[164]. « Il semble bien, constate Damasio, qu’il existe un fil conducteur reliant, sur le plan anatomique et fonctionnel, la faculté de raisonnement à la perception des émotions et du corps. C’est comme s’il existait une passion fondant la raison, une pulsion prenant naissance dans la profondeur du cerveau, s’insinuant dans les autres niveaux du système nerveux, et se traduisant finalement par la perception d’une émotion ou par une influence non consciente orientant un processus de prise de décision. »[165] Dès lors, sont à mettre en doute les assertions de Grandin selon lesquelles dans son esprit les faits et les émotions sont « toujours séparés », si bien que « son esprit est régi par la logique, non par les émotions »[166]. Ses actes seraient « commandés par l’intellect »[167] et son mode de pensée ressemblerait à celui d’un ordinateur. Pourtant Grandin relate par ailleurs avoir été capable de prendre seule des décisions majeures, telle qu’un changement d’orientation de ses études universitaires. De surcroît elle exerce un métier, elle donne des cours, elle écrit des livres, elle fait des conférences, elle mène une vie totalement indépendante, or tout cela implique de multiples prises de décisions quotidiennes, lesquelles, malgré son vécu, ne sauraient faire l’économie d’une participation des affects.
Il convient à nouveau de souligner que la coupure à l’égard des affects est sélective. Grandin le précise elle-même : « comme la plupart des autistes, je n’éprouve aucun sentiment lié à une relation personnelle »[168]. En revanche, elle témoigne en ressentir pour les lieux et les objets. Elle persiste certes à lutter pour une dissociation de la pensée et des affects et elle y parvient mieux que certains autistes invisibles qui ont cessé ce combat. À cet égard, elle note très pertinemment que Donna Williams ne se situe pas « au même point » qu’elle sur « le spectre de l’autisme »[169]. En mentionnant que cette dernière est parvenue à une plus grande distanciation concernant l’autisme, elle indique la situer en un au-delà du point qu’elle considère avoir elle-même atteint. Tout laisse en effet supposer que l’intégration des affects est plus accomplie chez Williams. Grandin a considéré assez tôt que les femmes étaient socialement mal traitées, ce qui l’a dégoûtée du mariage et l’a incitée à rester célibataire[170] ; en revanche, Williams s’est mariée deux fois, en acceptant ses sentiments amoureux. Elle confie même, à l’occasion d’une liaison homosexuelle, être parvenue à l’une des expériences les plus probantes de communion avec son corps, la sensation orgastique[171].
Les relations amoureuses sont tributaires de la perception que le sujet se fait de lui-même. Il faut aimer son image pour pouvoir la rendre aimable à autrui. Initialement, quand l’autiste commence à la distinguer, il l’appréhende comme une façade externe, guère habitée, peu attirante. Deshays évoque « son habit de niaiserie invalidante »[172], Sellin se perçoit comme « laid » et « bestial »[173]. Cependant, à mesure que s’accomplit l’intégration des affects le rapport à l’image se modifie. Barron avait une « idée négative de lui-même », et se trouvait « méprisable »[174], or, après son « éclosion », il constata que la perception qu’il avait de lui-même s’était améliorée[175], de sorte qu’il devint en mesure de nouer des relations amoureuses. À mesure que s’estompe la coupure à l’égard des affects l’image se transforme. Quand le sujet ne se sent plus à distance d’elle, quand il l’investit libidinalement, alors il acquiert une perception phallicisée de celle-ci qui rend son autisme de plus en plus invisible. Quand Williams se regarde dans le miroir, ce n’est plus Carol qu’elle y perçoit. Elle a peint des herbes hautes et des rosiers grimpants sauvages de toutes les couleurs sur une glace dans laquelle elle se mire assise dans les herbes et entourée de roses[176].
L’assomption de l’identité de l’autiste s’accompagne d’un désinvestissement progressif du bord. Initialement l’investissement libidinal extrême de l’intérêt spécifique fait de celui-ci un objet protecteur à l’égard des autres de sorte qu’il fonctionne comme entrave à la relation à autrui. Quand le clinicien demande à un enfant autiste : « Que ferais-tu si je ne m’intéressais pas à l’Egypte ? », celui-ci répond immédiatement : « Alors, je te laisserais de côté. » Lemay insiste : « As-tu remarqué qu’au bout d’un certain temps les personnes deviennent lassées et tentent de parler d’autre chose », il réplique : « Je le sais bien et c’est à cause de cela que je n’ai pas d’amis, mais ils doivent m’écouter ou, alors, ils ne sont rien pour moi. »[177] Vers 10 ans Tammet n’avait pas même conscience d’importuner ceux à qui il faisait part de ses centres d’intérêt : « Quand je parlais à quelqu’un, c’était souvent d’une seule traite, sans m’arrêter. L’idée de faire une pause ou de parler à tour de rôle ne me venait pas. […] Je ne comprenais pas que le but de la conversation n’est pas de parler uniquement des choses qui vous intéressent. Je parlais avec force détails jusqu’à être vidé de tout ce que j’avais à dire. Je sentais que j’aurais pu éclater si quelqu’un m’avait interrompu. Il ne m’apparut jamais que le sujet dont je parlais puisse ne pas être intéressant pour mon interlocuteur. Je n’ai jamais non plus remarqué s’il commençait à s’impatienter ou s’il jetait des regards autour de lui. Je continuais à parler jusqu’à ce que l’on me dise quelque chose du genre : « Il faut que j’y aille, maintenant. »[178]
Le témoignage de Luke Jackson, un autiste Asperger, corrobore les précédents : « Je ne peux parler que pour moi, écrit-il, mais quand j’ai quelque chose en tête, alors le reste du monde cesse d’exister. Je suppose que l’on peut taxer ça d’égoïsme et je m’efforce réellement de penser un peu plus aux autres ; mais parfois c’est vraiment très difficile. Qu’il s’agisse de dinosaures (ça, c’était quand j’étais plus petit, je m’empresse de le préciser), des Pokémon, des Playstation ou d’ordinateurs – ces derniers ont toujours présenté une fascination récurrente pour moi – je sens une telle vague d’excitation monter en moi que je ne peux même pas la décrire. Je dois absolument discuter du sujet. Etre stoppé net me met dans un tel état que je peux facilement rentrer dans une rage folle. En écrivant tout cela, je réalise à quel point tout cela peut paraître fou, mais je ne fais que décrire la réalité. »[179] Tous trois témoignent d’une telle jouissance solitaire de leur intérêt spécifique que d’y introduire une coupure leur était si insupportable qu’un sentiment de colère et de rage les saisissait.
Quand s’opère la mutation subjective qui donne naissance à l’autiste de haut niveau, l’intérêt spécifique cesse d’être utilisé comme un objet protecteur, il devient un facilitateur de la relation sociale. « Contrairement à ce qui se passait jadis, constate la mère de Barron, il n’étalait plus ses connaissances, ainsi que le font la plupart des enfants autistiques, en lieu et place d’une véritable conversation. S’il rencontrait quelqu’un qui partageait sa passion pour le jazz, il parlait avec enthousiasme de ses musiciens préférés, sinon il prenait plaisir à écouter ses disques et à se documenter sur les interprètes. »[180] L’intérêt spécifique n’est plus un objet dont la connaissance des composants et de leur ordonnancement est au service de la quête d’immuabilités rassurantes.
Tant que l’intérêt spécifique est l’objet d’une passion débordante, il reste un bord qui anime l’autiste. Ce dernier se l’approprie dans son état initial, sans chercher à le modifier et sans l’utiliser à des fins pratiques. Il est volontiers convoqué pour assommer l’interlocuteur afin d’éviter tout véritable échange. Quand la participation à la pensée des affects du contact devient moins inhibée, l’autiste développe des capacités d’inventivité à l’égard de son intérêt spécifique, lesquelles ouvrent parfois à des possibilités de le faire servir à des activités professionnelles. On sait depuis Asperger, et cela a été largement confirmé, que dès leur tendre jeunesse, on constate chez les autistes une « prédestination à un métier », de sorte qu’il semble « que ce métier émerge de leur constitution comme d’un destin »[181]. Quand l’autiste devient capable d’habiter son intérêt spécifique et d’en faire un pont vers le social, il cesse d’être un bord qui capte une jouissance rejetée et surinvestie. Les affects ne sont plus tenus à distance par la langue de signes, l’autiste invisible accède alors à une expression signifiante de ceux-ci, de sorte que l’intérêt spécifique se mue en un sinthome[182]. La jouissance du sujet s’y trouve alors captée de manière à faire orientation pour son existence et à lui permettre de tisser des échanges sociaux. L’introjection accomplie du vivant rend non seulement le sujet indépendant mais aussi créatif : il devient capable de prendre une position dynamique à l’égard de ses objets. C’est lui qui les actionne, il n’est plus animé par son bord. Grandin considère faire « œuvre de pionnière » dans la recherche sur le comportement et le traitement du bétail[183]. Une insertion sociale s’avère alors possible, bien souvent par l’entremise de sinthomes dérivés de l’intérêt spécifique. Parfois même se révèle une aptitude à des modes de jouir dissociés du bord. Ainsi Barron s’est montré capable d’investir des activités professionnelles indépendantes de ses intérêts spécifiques. De surcroît nombre d’autistes invisibles se sont mariés et ont fondé une famille. On ne saurait douter que la rencontre de partenaires-sinthomes leur soit devenue possible.
La mutation subjective qui donne naissance à l’autiste de haut niveau s’accompagne assez souvent d’un fantasme d’auto-procréation ou de tentatives d’auto-nomination. Le terme d’autiste de haut niveau, mauvaise transposition de l’anglais « high functioning », est-il le plus approprié pour désigner l’advenue de ce positionnement subjectif principalement caractérisé par la capacité à être indépendant ? D’autres termes sont proposés et pourraient convenir : autisme invisible ou autisme ordinaire[184]. Les intéressés préfèrent un terme moins clinique et plus sympathique, « Aspies », voire « syndrome d’Asperger résiduel »[185].
La référence à des « personnalités post-autistiques » paraît plus discutable. Certes, quand la défense majeure de l’autiste, à savoir le retour du vivant dans un bord, cesse quasiment d’être opérante, la mutation subjective est telle qu’elle suscite la tentation d’introduire cette notion. Cependant ce n’est pas l’option choisie par les personnes concernées, lesquelles pour la plupart persistent à se considérer comme autistes, parce qu’elles se souviennent des difficultés qu’elles ont dû surmonter, parce qu’elles savent que leur parcours a été très spécifique – pas comparable à celui de ce qu’elles nomment les « neurotypiques ». Elles témoignent de surcroît conserver quelques traits autistiques discrets (réticence aux interactions sociales, attrait pour l’immuabilité, retour temporaire de troubles sensoriels), de sorte que dans leur grande majorité elles persistent à se revendiquer autistes. Le leur contester conduirait à rompre avec leur témoignage pour nous orienter. Leur imposer un savoir venu d’ailleurs sur la nature de l’autisme, en leur affirmant qu’elles ont cessé d’en relever, serait non seulement abusif, mais conduirait à ne plus considérer la parole du sujet comme le médium de la découverte freudienne. Mieux fondée nous paraît l’opinion selon laquelle au plus haut du spectre de l’autisme celui-ci tend à devenir invisible. Il ne répond plus aux critères comportementaux du DSM-5, mais il persiste comme vécu subjectif.
La construction de l’identité de l’autiste esquissée en ce texte conduit certes à schématiser la clinique, elle est à prendre pour l’orientation qu’elle dessine : les étapes peuvent en être intriquées et leur franchissement n’est pas nécessaire pour tous. En être averti permet de mieux accompagner le sujet dans ses efforts pour réduire son mal-être et pour trouver une assise. L’aliénation retenue, qui entrave le signifiant-maître, et qui donne au double une importance majeure n’est pas figée : les autistes dits de haut niveau parviennent à prendre une position d’énonciation, à introjecter leurs doubles moïques, à habiter pleinement leur corps, et à mettre en place un sinthome, désabonné à l’inconscient, le plus souvent par l’entremise de leur intérêt spécifique.
Kanner et Asperger l’ont discerné d’emblée : l’autisme s’ancre dans une altération des affects et du vivant, pour l’un il s’agit d’un trouble du « contact affectif », pour l’autre d’une « perturbation des relations vivantes avec l’environnement »[186]. Il prend sa source dans le gel des affects, en particulier de ceux qui incitent aux échanges avec autrui, ce dont témoigne la rétention initiale des objets de la pulsion[187]. Des améliorations de la cognition permettent certes parfois de tempérer certaines angoisses, cependant les résultats des techniques éducatives sur le fonctionnement autistique restent pauvres[188]. Combien ont-elles produit d’autistes invisibles ? En revanche, s’appuyer sur les passions des autistes, de nombreux témoignages d’ Affinity Therapy en font état[189], a ouvert la voie vers des évolutions « spontanées » spectaculaires (Barnett[190], Gay-Corajoud[191], Suskind[192]). C’est de celles-ci que s’inspire l’approche psychanalytique orientée par le bord. Ce dernier ne permet pas seulement à l’autiste, pour se protéger de ses angoisses, de rejeter ses affects dans un objet externe, il constitue aussi un mode autistique de passage vers l’intégration du vivant.
[1]. Maleval J-C., Repères pour la psychose ordinaire, Navarin, Paris, 2019, p. 93-100.
[2]. Williams D., Si on me touche, je n’existe plus [1992], Robert Laffont, Paris, 1992, p. 96.
[3]. Les enfants autistes « se figent comme médusés » devant leur image. « La présence de leur propre image n’entre pas dans le champ de la réalité telle qu’ils la voient. » Brauner A. et F., Vivre avec un enfant autistique, PUF, Paris, 1978, p. 195.
[4]. Idoux-Thivet A., Ecouter l’Autisme, Autrement, Paris, 2009, p. 119.
[5]. Bettelheim B., La forteresse vide [1967], Gallimard, Paris, 1969, p. 143.
[6]. Ibid., p. 140.
[7]. Ibid., p. 150.
[8]. Meltzer D. Bremmer J. Hoxter S. Wedell D. Wittenberg I., Explorations dans le monde de l’autisme [1975], Payot, 1980, p. 31.
[9]. Williams D., Quelqu’un, quelque part, J’ai Lu, 1996, p. 176.
[10]. Ibid., p. 12.
[11]. Ibid., p. 17.
[12]. Gerland G., Une personne à part entière [1996], Autisme France Diffusion, 2004, p. 20.
[13]. Williams D., Quelqu’un, quelque part, op. cit., p. 64.
[14]. Bettelheim B., La forteresse vide, op. cit., p. 129.
[15]. Ibid, p. 285.
[16]. Park C.C., Histoire d’Elly. Le siège [1967], Calmann-Lévy, Paris, 1972, p. 283.
[17]. Williams D., Exposure Anxiety –The Invisible Cage. An Exploration of Self-Protection Responses in the Autism Spectrum and Beyond. Jessica Kingsley. UK., 2002, p. 2.
[18]. Gerland G., Une personne à part entière, op. cit., p. 152.
[19]. Williams D., Quelqu’un, quelque part, op. cit., p. 252.
[20]. Deshays A., Libres propos philosophiques d’une autiste, Presses de la Renaissance, Paris, 2009, p. 106.
[21]. Ibid., p. 108.
[22]. Babouillec, Algorithme éponyme et autres textes, Rivages, Paris, 2016, p. 82.
[23]. Ibid., p. 129.
[24]. Ibid., p. 13.
[25]. Le néologisme « transitiviste » est utilisé ici en référence au transitivisme, terme introduit en psychiatrie par Wernicke, initialement pour désigner l’attribution à autrui de ce qui est propre au sujet. Cependant le phénomène peut aller jusqu’à une confusion des vecteurs centripètes et centrifuges de l’expérience vécue. Selon Lacan le transitivisme est « une véritable captation par l’image de l’autre » (Lacan J., « Propos sur la causalité psychique », Écrits, Seuil, Paris, 1966, p. 180]. En sont exemplaires les situations lors desquelles « l’enfant qui bat dit avoir été battu, celui qui voit tomber pleure » [Lacan J., « L’agressivité en psychanalyse », Écrits, op. cit., p. 113).
[26]. Williams D., Si on me touche, je n’existe plus, op. cit., p. 283.
[27]. Donville B., Vaincre l’autisme, Odile Jacob, Paris, 2006, p. 56.
[28]. Bettelheim B., La forteresse vide, op. cit., p. 325.
[29]. Ibid., p. 315.
[30]. Rothenberg M., Des enfants au regard de pierre [1977], Seuil, 1979, p. 246.
[31]. Ibid, p. 277-279.
[32]. Gerland G., Une personne à part entière, op. cit., p. 235.
[33]. Meltzer D. Bremmer J. Hoxter S. Wedell D. Wittenberg I., Explorations dans le monde de l’autisme, op. cit., p. 40.
[34]. Ibid., p. 41.
[35]. Deshays A. Libres propos philosophiques d’une autiste, op.cit., p. 106.
[36]. Ibid., p. 91.
[37]. Klonovsky M. Postface, in Sellin B., La solitude du déserteur [1995], Robert Laffont, Paris, 1998, p. 244.
[38]. Sellin B., La solitude du déserteur, op. cit., p. 150 et p. 160.
[39]. Stork J., Remarques psychanalytiques sur les résultats de l’expérience « d’écriture assistée », Psychiatrie de l’enfant, 1996, XXXIX, 2, p. 472-473.
[40]. Williams D., Si on me touche, je n’existe plus, op. cit., p. 40.
[41]. Ibid., p. 293.
[42]. Bettelheim B., La forteresse vide, op. cit., p. 325 et p. 315.
[43]. Léger J., Un autisme qui se dit… fantôme mélancolique, L’Harmattan, 1997, p. 34.
[44]. Ibid., p. 36-37.
[45]. Ibid., p. 40.
[46]. Ibid., p. 32.
[47]. Ibid., p. 36.
[48]. Ibid., p. 42.
[49]. Williams D., Quelqu’un, quelque part, op. cit., p. 12.
[50]. Ibid., p. 263.
[51]. Ibid., p. 210.
[52]. Horiot H., L’empereur, c’est moi, L’iconoclaste, Paris, 2013, p. 198.
[53]. Williams D., Quelqu’un, quelque part, op. cit., p. 273.
[54]. Ibid., p. 292.
[55]. Williams D., Like Colour to the Blind, Jessica Kingsley Publishers, London, 1999, p. 24.
[56]. Williams D., Quelqu’un, quelque part, op. cit., p. 302.
[57]. Ibid., p. 264.
[58]. Williams D., Si on me touche, je n’existe plus, op. cit., p. 95.
[59]. Ibid., p. 261.
[60]. Ibid., p. 209.
[61]. Williams D., Everyday Heaven. Journeys Beyond the Stereotypes of Autism, Jessica Kingsley Publishers, London and New York, 2004, p. 117.
[62]. Williams D., Si on me touche, je n’existe plus, op. cit., p. 89.
[63]. Bettelheim B., La forteresse vide, op. cit., p. 391.
[64]. Grandin T., Ma vie d’autiste [1986], Odile Jacob, Paris, 1994, p. 53.
[65]. Ibid., p. 95.
[66]. Grandin T., Penser en images [1995], Odile Jacob, Paris, 1997, p. 165.
[67]. Horiot H., Carnet d’un imposteur, L’iconoclaste, Paris, 2016, p. 124.
[68]. Ibid., p. 135.
[69]. Babouillec, Algorithme éponyme, op. cit., p. 41.
[70]. Ibid., p. 35.
[71]. Ibid., p. 79.
[72]. Ibid., p. 118.
[73]. Ibid., p. 134.
[74]. Williams D., Si on me touche, je n’existe plus, op. cit., p. 243.
[75]. Babouillec, Algorithme éponyme, op. cit., p. 124 et p. 116.
[76]. Gerland G., Une personne à part entière, op. cit., p. 196.
[77]. Ibid., p. 200.
[78]. Willey L. H., Vivre avec le syndrome d’Asperger [1999], De Boeck Supérieur, Louvain-la-Neuve, 2019, p. 57.
[79]. Bettelheim B., La forteresse vide, op. cit., p. 394.
[80]. Williams D., Si on me touche, je n’existe plus, op. cit., p. 293
[81]. Williams D., Quelqu’un, quelque part, op. cit., p. 263.
[82]. Williams D., Si on me touche, je n’existe plus, op. cit., p. 294.
[83]. Sellin B., Une âme prisonnière [1993], Robert Laffont, Paris, 1994, p. 102.
[84]. March J., La fille pas sympa. La vie chaotique et turbulente d’une jeune autiste Asperger, Seramis/Movie Planet, 2018, p. 214.
[85]. Ibid., p. 24.
[86]. Grandin T., Ma vie d’autiste, op. cit., p. 128.
[87]. Bettelheim B., La forteresse vide, op. cit., p. 351.
[88]. Asperger H., Les psychopathes autistiques pendant l’enfance [1944], Les empêcheurs de tourner en rond, Synthélabo, Le Plessis-Robinson, 1998, p. 122.
[89]. Ibid., p. 179.
[90]. Deshays A., Libres propos philosophiques d’une autiste, op. cit., p. 15.
[91]. Ibid., p. 54.
[92]. Lacan J., « Conférence à Genève sur le symptôme » [1975], La Cause du désir n° 95, 2017, p. 17.
[93]. Bettelheim B., La forteresse vide, op. cit., p. 129.
[94]. Ibid., p. 524.
[95]. Lacan J., Le Séminaire, livre I, Les écrits techniques de Freud [1954], Seuil, Paris, 1975, p. 99.
[96]. Ibid., p. 83.
[97]. Bettelheim B., La forteresse vide, op. cit., p. 237.
[98]. Ibid., p. 88.
[99]. Baron-Cohen S., La cécité mentale. Un essai sur l’autisme et la théorie de l’esprit, Presses Universitaires de Grenoble, 1998.
[100]. La fuite initiale du regard et l’absence d’attention conjointe s’expliquent mieux par un blocage de l’affect d’empathie que par un trouble cérébral, sachant que les autistes de haut niveau accèdent à la théorie de l’esprit quand se dégèlent les affects de contact.
[101]. Ibid., p. 333.
[102]. Axline V. Dibs, Développement de la personnalité grâce à la thérapie par le jeu [1964], Flammarion, 1967, p. 97.
[103]. Ibid., p. 205.
[104]. Asperger H., Les psychopathes autistiques pendant l’enfance, op. cit., p. 122.
[105]. March J., Une fille pas sympa, op. cit., p. 83.
[106]. Grandin T., Penser en images, op. cit., p. 164.
[107]. Mazefsky C.A., “Emotion regulation and emotional distress in autism spectrum disorder : Foundations and considerations for future research.” J Autism Dev Disord. 2015 Nov; 45 (11): 3405-3408. Doi : 10.1007 / s10803-015-2602-7
[108]. Tammet D., Je suis né un jour bleu [2006], Les Arènes, Paris, 2007, p. 29.
[109]. Ibid., p. 35.
[110]. Harrisson B., L’autisme : au-delà des apparences, ConsulTED, Rivière du loup, Québec, Canada, 2010, p. 311.
[111]. Ibid., p. 241.
[112]. Williams D., Quelqu’un, quelque part, op. cit., p. 161-162.
[113]. Ibid., p. 221.
[114]. Asperger H., Les psychopathes autistiques pendant l’enfance, op. cit., p. 86.
[115]. Babouillec, Algorithme éponyme, op. cit., p. 79.
[116]. Ibid., p. 112.
[117]. Sellin B., Une âme prisonnière, op. cit., p. 96.
[118]. Bettelheim B., La forteresse vide, op. cit., p. 153.
[119]. Ibid., p. 394.
[120]. Williams D., Si on me touche, je n’existe plus, op. cit., p. 291.
[121]. Williams D., Quelqu’un, quelque part, op. cit., p. 318.
[122]. Ibid., p. 284.
[123]. March J., Une fille pas sympa, op. cit., p. 224.
[124]. Grandin T., Ma vie d’autiste, op. cit., p. 128.
[125]. Gerland G., Une personne à part entière, op. cit., p. 121.
[126]. Deshays A., Libres propos philosophiques d’une autiste, op. cit., p. 56.
[127]. Williams D., Quelqu’un, quelque part, op. cit., p. 314.
[128]. Ibid., p. 312.
[129]. Ibid., p. 315.
[130]. Ibid., p. 207.
[131]. Ibid., p. 309.
[132]. Ibid., p. 309.
[133]. Ibid., p. 159.
[134]. Ibid., p. 143.
[135]. Ibid., p. 119.
[136]. Ibid., p. 167.
[137]. Ibid., p. 246.
[138]. Ibid., p. 140.
[139]. « Le lien avec mon corps était le pont invisible enjambant le défilé infranchissable qui s’était creusé entre mon moi interne et la possibilité être touchée sans perdre conscience de mes émotions » (Williams D., Quelqu’un, quelque part, op. cit., p. 316.)
[140]. Williams D., Like Colour to the Blind, op. cit., p. 18.
[141]. Williams D., Quelqu’un, quelque part, op. cit., p. 274.
[142]. Ibid., p. 313.
[143]. Ibid., p. 315.
[144]. Ibid., p. 314.
[145]. Léger J., Communication personnelle en date du 16 octobre 2018.
[146]. Léger J., Un autisme qui se dit… fantôme mélancolique, op. cit., p. 129.
[147]. Gerland G., Une personne à part entière, op. cit., p. 224.
[148]. Ibid., p. 233.
[149]. Bettelheim B., La forteresse vide, op. cit., p. 409.
[150]. Sinclair J., “Bridging, the gaps: an inside-out view of autism”, in Schopler E. Mesibov G., High functioning individuals with autism, Plenum Press, New York, London, 1992, p. 298.
[151]. L’adhésivité du signe au référent le rend impropre à coder les affects, qui s’expriment différemment chez chacun, qui possèdent des nuances, qui sont souvent fugitifs et changeants, et qu’il est difficile d’objectiver. (Cf. Maleval J-C., « Langue verbeuse, langue factuelle et phrases spontanées chez l’autiste », La Cause freudienne, 2011, n0 78, p. 77-102.)
[152]. Tammet D., Je suis né un jour bleu, op. cit., p. 173.
[153]. Barron S. et S., Moi, l’enfant autiste [1992], Plon, Paris, 1993, p. 309.
[154]. Ibid., p. 287.
[155]. Ibid., p. 289.
[156]. Tammet D., Chaque mot est un oiseau à qui l’on apprend à chanter, Les Arènes, Paris, 2017.
[157]. Tammet D., Conférence à l’Université Rennes 2, le 28 mars 2018.
[158]. Son premier compagnon.
[159]. Tammet D., Je suis né un jour bleu, op. cit., p. 225.
[160]. Grandin T., Ma vie d’autiste, op. cit., p. 119.
[161]. Cité par Laurent E., in La bataille de l’autisme, Navarin, Paris, 2012, p. 73.
[162]. Grandin T., Ma vie d’autiste, op. cit., p. 49.
[163]. Damasio A. R., L’erreur de Descartes. La raison des émotions [1994], Odile Jacob, Paris, 1995, p. 81.
[164]. À cet égard, Grandin fait un commentaire qui mérite d’être noté : « Selon Antonio Damasio, écrit-elle, les sujets qui ne sentent plus d’émotions à la suite d’une attaque d’apoplexie prennent souvent des décisions désastreuses sur un plan financier ou moral. Ces personnes pensent normalement et répondent normalement quand on les interroge sur une situation sociale hypothétique. Mais leur comportement s’effondre dès qu’elles doivent prendre une décision, parce qu’elles n’ont plus à leur disposition de signal affectif fiable. C’est comme si elles devenaient brutalement autistes. » [Grandin T., Penser en images, op. cit., p. 160]
[165]. Damasio A. R., L’erreur de Descartes, op. cit., p. 307-308.
[166]. Grandin T., Penser en images, op. cit., p. 223.
[167]. Ibid., p. 103.
[168]. Ibid., p. 68.
[169]. Ibid., p. 68.
[170]. Grandin T., Ma vie d’autiste, op. cit., p. 128.
[171]. Williams D., Everyday Heaven, op. cit., p. 120
[172]. Deshays A., Libres propos philosophiques d’une autiste, op. cit., p. 52.
[173]. Sellin B., La solitude du déserteur, op. cit., p. 54 et p. 115.
[174]. Barron S. et S., Moi, l’enfant autiste, op. cit.
[175]. Ibid., p. 283.
[176]. Williams D., Quelqu’un, quelque part, op. cit., p. 275.
[177]. Lemay M., L’autisme aujourd’hui, Odile Jacob, Paris, 2004, p. 148.
[178]. Tammet D., Je suis né un jour bleu, op. cit., p. 85.
[179]. Jackson L., Excentriques, Phénomènes et Syndrome d’Asperger, AFD Editions, Mouans Sartoux, 2007, p. 41.
[180]. Barron S. et S., Moi, l’enfant autiste, op. cit., p. 290.
[181]. Asperger H., Les psychopathes autistiques pendant l’enfance, op. cit., p. 142.
[182]. « Quand on parle de symptôme on entend par là, en psychanalyse, un élément qui peut se dissoudre, ou, censément, disparaître, se lever, alors que sinthome désigne cet élément en tant qu’il ne peut pas disparaître, qu’il est constant. » [Miller J-A. Choses de finesse. Séminaire inédit du 12-10-2008]. Le sinthome ne s’interprète pas, ce n’est pas une formation de l’inconscient.
[183]. Grandin T., Ma vie d’autiste, op. cit., p. 149.
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[186]. Asperger H., Les psychopathes autistiques pendant l’enfance, op. cit., p. 115.
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