Par Cécile Wojnarowski.
L’arrêté du 10 mars 2021 fixe les conditions d’exercice des psychologues qui envisagent de rejoindre les « parcours de bilan et d’intervention précoce pour les enfants avec des troubles du développement ». Notons que le trouble neuro-développemental est apparu avec le DSM 5, dont on sait à quel point celui-ci a donné lieu à controverses. S’appuyant sur une phénoménologie descriptive comportementale, sans fondement scientifique, il a vu se créer des bulles inflationnistes et la création d’associations de patients qui revendiquent de nouveaux droits. Nous pouvons à ce sujet relire l’excellent article d’Éric Laurent sur « la crise post-DSM et la psychanalyse à l’âge numérique »[1], pointant les enjeux pharmaceutiques et le lobbying des associations de parents. L’arrêté va dans le sens de ces effets de revendication.
Les TND constituent un ensemble hétérogène regroupant les troubles du spectre de l’autisme, les troubles du développement intellectuel, les troubles Dys, les troubles du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité… Remplaçant le terme de « troubles habituellement diagnostiqués pendant l’enfance » du DSM4, celui-ci tend à couvrir une grande partie du champ de la pédopsychiatrie, réduit à la seule dimension neurologique. Déjà Michel Foucault, dans son cours au Collège de France sur Les Anormaux, en 1974-75, notait cette désaliénation de la psychiatrie à partir du fait de la levée du privilège de la folie. C’est ce mouvement qui a conduit à l’extension de la notion de handicap et à la médicalisation des conduites : « Entre la description des normes et règles sociales et l’analyse médicale des anomalies, la psychiatrie sera essentiellement la science et la technique des anormaux »[2], conduisant à écarter toute idée de guérison pour se tourner vers l’éducation dans un souci de protection et d’ordre.
C’est chose faite avec le paradigme DSM, qui est un formidable instrument de gestion des populations. Pas étonnant que celui-ci autorise ces dérives autoritaires des bureaucraties sanitaires jusque dans le cabinet du psychologue. Dans un monde où la psychiatrie s’appauvrit économiquement et idéologiquement, ces nouvelles modalités de gouvernance constituent un bien maigre espoir.
La psychanalyse est visée car, contredisant toute idée de norme, elle ne convient pas à ce modèle idéologique. L’enjeu est aujourd’hui pour nous d’accueillir la subversion des classifications qu’opèrent les sujets dans des usages off label. Des espaces de respiration seront plus que jamais nécessaires afin de traiter le savoir-faire des sujets avec ces nouvelles classifications pseudo-scientifiques. L’exigence de méthodes adaptatives imposées par l’arrêté produira des glissements et ratages, car tout sujet, de structure, contredit à la norme. L’arrêté n’arrêtera pas cela, malgré sa tentative de forclore le sujet.
[1]. Laurent E., « La crise post-DSM et la psychanalyse à l’âge numérique », La Cause du désir, n° 87, p. 145-166.
[2] Foucault M., Les Anormaux, Cours au Collège de France, 1974-1975, Paris, Gallimard, 1999.