Trois questions au directeur du CERA
Les psychologues se mobilisent contre l’Arrêté gouvernemental relatif au diagnostic et à l’intervention précoce auprès des enfants autistes. Un Forum est organisé le 27 mai prochain, à l’initiative de l’Ecole de la Cause freudienne. Nous avons posé trois questions à Jean-François Cottes, directeur du CERA (Centre d’études et de recherches sur l’autisme), qui soutient cette initiative.
La Cause de l’autisme : En tant que directeur du CERA, pourriez-vous nous éclairer sur l’enjeu qu’il y a à mobiliser les psychologues contre cet Arrêté ?
Jean-François Cottes : Pour répondre à votre question, permettez-moi d’abord de situer le contexte. Cet Arrêté du 10 mars 2021 concerne les enfants relevant de ce que le DSM appelle « les troubles du spectre de l’autisme » (TSA) et « les troubles neuro-développementaux » (TND). L’Arrêté s’inscrit dans une série de textes mettant en place des « plateformes d’orientation et de coordination » (POC), dans le cadre d’un « parcours de bilan et d’intervention précoce pour les enfants avec des troubles du neuro-développement ». Il faut rappeler qu’il est advenu quelque chose qui est pour une part passé inaperçu lors de la mise en place de la quatrième stratégie nationale pour l’autisme en 2017. À l’occasion de ce tour de passe-passe, l’autisme a été englobé dans le fourre-tout des troubles neuro-développementaux, catégorie nouvelle du DSM-5, avec les handicaps intellectuels (trouble du développement intellectuel), les troubles de la communication, le trouble spécifique des apprentissages (lecture, expression écrite et déficit du calcul) – ce que l’on appelle couramment les « dys » –, les troubles moteurs (trouble développemental de la coordination, mouvements stéréotypés, tics), le déficit de l’attention/hyperactivité.
C’est une étape supplémentaire dans l’affirmation et la mise en œuvre d’un réductionnisme scientiste qui réduit les symptômes des enfants à des troubles exprimant un mauvais développement cérébral et cela, sauf exception pour certains troubles moteurs, sans le début d’une preuve à proprement parler scientifique.
Il s’agit d’une approche idéologique qui perd de vue le sujet en tant que tel, sa globalité, son lien à son environnement, qu’il soit familial ou social, à sa vie même. C’est une réification du sujet, du parlêtre. Le sujet est ramené à son cerveau et à ses dysfonctionnements.
C’est en quoi les psychologues sont concernés. Ils n’acceptent pas, dans leur grande majorité, que leurs interventions soient conçues uniquement comme la mise en œuvre de techniques comportementales et cognitives sur prescription et contrôle médicaux. Ils n’acceptent pas qu’on leur impose les méthodes auxquelles ils doivent impérativement faire appel pour accompagner les enfants et leur famille. Leur autonomie professionnelle, âprement obtenue dans la loi de 1985 définissant le titre de psychologue, s’oppose à cette ingérence technocratique et étatique dans leurs pratiques. Ce faisant, ils défendent à juste raison la cause du sujet.
LCA: Il paraît important de nos jours qu’un diagnostic puisse être posé concernant l’autisme. La demande des parents se fait pressante. Comment pourraient-ils être éclairés sur les enjeux d’une telle démarche ?
J.-F. C. : En effet, la mise en place des plateformes et des parcours devrait répondre à cette demande légitime des parents d’être accompagnés dans la recherche de réponses aux questions que posent les symptômes de leur enfant. Mais la réponse qui est proposée avec ces textes brouille les cartes en isolant chaque « trouble » et en le convertissant en un problème auquel il faut apporter une solution.
Le symptôme de l’enfant est une question, c’est un message à interpréter, c’est une question à laquelle il convient de répondre et non pas un problème auquel il faut apporter une solution et une seule : l’éradiquer. L’approche psychanalytique d’orientation lacanienne fait sa place au symptôme comme modalité singulière du sujet qui vise à répondre à ce à quoi il a affaire. Cette perspective est tout aussi valable pour les enfants autistes que pour ceux qui se manifestent par une agitation ou qui sont en difficulté pour mettre en fonction la parole dans le champ du langage.
Il est nécessaire que dans ces démarches de diagnostic et d’intervention précoce, les enfants comme les parents bénéficient d’un accueil de leur parole et de leurs symptômes pour être accompagnés dans leurs propres élaborations, afin d’apporter des réponses moins coûteuses dans leur économie subjective. Cela permet de considérer le symptôme comme celui d’un sujet dans sa globalité.
LCA : La question de l’enfant trans vient au devant de la scène médiatique. Par certains côtés, elle soulève des questions qui croisent celle de l’autisme. Pourriez-vous nous éclairer ?
J.-F. C. : La dite « dysphorie de genre » est, elle aussi, apparue avec le DSM-5 comme résultat d’un compromis qu’il faut bien appeler politique entre les luttes des trans pour dépsychiatriser leur parcours et la nécessaire médicalisation de ce parcours. Ici encore, en effet, à perdre la boussole de la structure organisant la personnalité, on objective immédiatement le sujet à partir d’un trait, on répond sans délai à un problème par une solution : le traitement hormonal, le bistouri. Mais quel est le statut de la parole d’un enfant ? Que dit tel garçon de cinq ans quand il lance : « Quand je serai grand, je voudrais être une fille. » Ou quand telle fille de huit ans joue aux voitures, ne veut pas porter de robes et se fait inscrire dans une équipe masculine de football et dit : « Je veux qu’on me prenne pour un garçon. » N’y a-t-il pas à interpréter ces dires ? Doit-on répondre aux parents de ces enfants qui demandent conseil : « Votre enfant présente une dysphorie de genre, faisons-le entrer dans un protocole. » Doit-on apporter des réponses médicales comme la prescription d’inhibiteurs de la puberté aux enfants prépubères ? Faut-il prescrire des hormones à des adolescents mineurs pour agir sur leurs caractères sexuels secondaires ?
Nous assistons actuellement à un emballement de ces réponses qui témoignent d’un égarement face à ce qui se présente comme une épidémie. Ou plutôt ne devrait-on pas faire l’offre à ces enfants et à leurs parents d’un lieu, d’un temps non protocolisés pour dire, pour se dire, pour mettre au travail leur question ? Ne vaut-il pas mieux accompagner, le temps qu’il faut, ces sujets dans le procès de sexuation, c’est-à-dire dans le chemin que chacun parcourt pour se positionner dans le rapport à la différence des sexes et dans la découverte de son orientation sexuelle ? C’est en tout cas la voie qui me semble la plus conforme à l’éthique de la psychanalyse, et celle à emprunter pour faire barrage à la tentation grandissante du passage à l’acte.
Je conclus sur le parallèle que vous proposez entre la question de l’autisme et celle du trans. Renversons la perspective : pourquoi ne pas rendre l’entourage de l’enfant trans, sa famille, l’école, le collège, le lycée, les clubs auxquels il participe, plus tolérants à sa différence, à sa question, au temps qu’il lui faut pour répondre plutôt que de le forcer à se conformer à des stéréotypes de genre qui renforcent un binarisme écrasant pour ces sujets ? N’est-ce pas aussi la question qui se pose pour les autistes, celle d’un « environnement souple » comme le propose Christiane Alberti dans sa préface au livre Parents et psychanalystes pensent l’autisme ? Doit-on rééduquer leurs comportements, leur injecter des habiletés sociales, afin que leur différence n’apparaisse pas, ne fasse pas tache dans le paysage, ou ne devrait-on pas mener une véritable politique de l’inclusion qui transforme l’environnement d’accueil ? N’est-ce pas aux milieux d’accueil de faire place à la singularité ? Ce serait cela la véritable accessibilité. Bien sûr, cela conduirait à remettre en cause la logique qui prévaut actuellement dans les politiques publiques effectives – pas celles que l’on affiche, mais celles auxquelles ont réellement affaire les intéressés – qui fait supporter au sujet et à sa famille toute la charge de sa singularité. Et pourquoi pas ?