Début 2018, la Corse a fait de la place pour l’autisme. « a criatura », le groupe corse du CEREDA (Centre d’étude et de Recherche sur l’Enfant dans le Discours Analytique) se réunit chaque mois pour parler du travail avec les enfants dits autistes. Leurs échanges ont permis cette année à deux créations artistiques de voyager sur l’Ile de Beauté : « Le monde au singulier » et « Le monde de Théo » à Bastia d’abord et à Ajaccio ensuite (lire la présentation ici). Amélia Martinez était témoin des événements à Bastia et Annie Smadja de la soirée à Ajaccio. Découvrez leurs impressions !
- L’autisme autrement à Bastia

A Bastia, une partie de l’exposition itinérante « Le monde au singulier ». Émotion devant ces tableaux qui sont comme des petits bouts de réel : nous ne pouvons être que touchés par la rigueur avec laquelle ces jeunes artistes les captent, les traduisent et nous les rendent visibles. De l’art brut oui, mais qui se décline au singulier. Pour preuve, la diversité des tableaux présentés, du trait minimaliste aux compilations de détails et de couleurs qui recouvrent toute la surface.
La présentation faite par notre collègue de Saragosse, Gracia Viscasillas, de la genèse et de la vie de cette exposition qui s’enrichit sans cesse d’œuvres au fil de ses escales, a été un temps fort lors de la soirée à Bastia. Gracia Viscasillas a insisté sur le fait que cette exposition a vu le jour grâce au désir d’une seule maman, celle de Martin Gimenez Laborda. Et si, comme le disait Jacques Lacan dans les Écrits (1966), « Le désir de l’homme trouve son sens dans le désir de l’autre […] parce que son premier objet est d’être reconnu par l’autre », alors le pari de cette maman est réussi !
Cette exposition permet de reconnaître le sujet autiste comme artiste et non plus uniquement comme une personne souffrant d’un handicap. L’autisme n’est plus assimilé à un déficit. Cette exposition modifie le regard porté sur les autistes par l’Autre social en général ; et en particulier par les familles de ces mêmes enfants autistes. En effet, certains parents écrasés, perdus par les comportements étranges de leurs enfants, déprimaient ou ne voyaient pas d’issue possible. Grâce à ce travail, le regard de ces parents sur leur enfant a changé. Enfin du positif, du possible, du beau pour venir s’opposer au négatif, aux crises, aux cris, au refus de leur affection. Ce sont les œuvres de leur enfant qui les ont renarcissisés. Les parents ont pu nouer alors un nouveau lien avec leur enfant, loin des conventions et des règles normatives, mais en se laissant enseigner par lui.
Se laisser enseigner par son enfant autiste n’est-ce pas là tout ce que déplie Valérie Gay-Corajoud avec son fils Théo lors de son témoignage filmé par Solène Caron Le monde de Théo ? Là encore, la force de son désir, le désir de comprendre ce qui se passait pour son fils. Valérie Gay-Corajoud explique que lorsque Théo était sans langage, la manifestation de ses symptômes était le seul moyen de savoir lorsque Théo n’allait pas bien. Il n’était donc pas question de les éradiquer.
Je retiens ce moment clé dans son témoignage : après avoir passé des mois figée dans l’incompréhension, à observer « à distance » Théo en se demandant comment le « ramener » dans leur monde, Valérie Gay-Corajoud a dit « OUI » à toutes les particularités de son dernier enfant. Ce oui à son autisme, et à tout ce qu’il comporte, a la valeur d’un acte. Ce oui représente un moment de bascule. À partir de là, la maman et les autres membres de sa famille ont été à la rencontre du monde de Théo.
Ce oui inaugural aux inventions de Théo a permis d’ouvrir sur des possibles et a permis à Théo, à son rythme, de revenir vers sa famille.
Je retiens aussi le passage dans lequel Valérie Gay-Corajoud parle des moments où Théo semble « régresser » car son savoir devient plus grand. Elle parle des murs de sa forteresse qui s’agrandissent et de la nécessité du temps qu’il faut à Théo pour qu’il reprenne ses marques dans ce nouvel espace. Cette phrase est saisissante de justesse et de clarté. Ce témoignage m’apparaît être très en écho avec l’approche lacanienne.
Amélia Martinez
- Témoignages et souvenirs d’Ajaccio

Arrivant de Bastia, la belle exposition itinérante « Le monde au singulier » est resté accrochée une semaine sur les murs du Centre du Sport et de la Jeunesse de Corse (CSJC). Cet établissement d’éducation populaire est fréquenté par de nombreux jeunes gens, qui l’ont largement commentée, tout comme les nombreux visiteurs.
Le 23 février, on s’est pressé à l’invitation pour son vernissage, avant d’assister à la projection du film Le monde de Théo et de participer à la conversation avec Valérie Gay-Corajoud qui suivait.
Des échanges cordiaux, plus informels, se sont poursuivis tard dans la soirée autour du buffet.
Les visiteurs du « monde au singulier » eurent une émotion proprement esthétique devant un tableau ou l’autre, un trait, un regard, l’empreinte d’une couleur qui parlaient à leur sensibilité. La petite fiche d’accompagnement avec la photo organisait habilement la présentation de chaque auteur.
Ce sont cependant les artistes qu’on a célébrés, la question de leur autisme n’était plus le propos. Elle s’était dissolue dans la rencontre avec les œuvres. La direction du CSJC « aurait bien voulu garder définitivement les œuvres exposées ».
L’expérience personnelle de Valérie Gay-Courajoud (Le monde de Théo), dans son chemin à la rencontre de son fils, a fait peu à peu écho aux avancées des cliniciens de notre champ : se proposer comme double étayant, côte à côte et non face à face, s’orienter des intérêts propres de l’enfant, éviter l’intrusion et l’adresse directe, favoriser le calme sensoriel pour apaiser l’angoisse. Elle confirmait user d’un doux forçage mais accepter une certaine immuabilité et la prégnance des objets. Elle a déployé ce riche enseignement avec pudeur et simplicité, démontrant en cela l’intuition des parents et de l’indispensable alliance avec eux comme préalable à tout suivi d’enfant.
Avec la bonne humeur et l’enthousiasme qui la caractérisent, elle n’a cependant pas fait silence sur les difficultés persistantes, la solitude qui fut la sienne, ses combats et le parcours de sa famille pour accueillir Théo, sans réserve, avec sa singularité. En effet, beaucoup dans l’assistance furent saisis lorsqu’elle dit que l’affection qu’elle avait pour son fils n’était probablement pas réciproque, leur lien étant d’un registre différent.
Elle a réussi à susciter chez les participants le souhait de connaître le monde de Théo… et des autres.
Annie Smadja
Un grand merci à Théo Fache, Valérie Gay-Corajoud, Gracia Viscassillas, Pedro Gras et Mariana Alba de Luna. Aux associations La Main à l’Oreille et TEARdir ARAGON qui soutiennent toutes ces familles qui nous enseignent.